La philosophie chez Soba & Sushi Bar incarne le dilemme des traditions orientales soumises aux élans de la piasse rapide. Mi-comptoir de poche pour "emporter", mi-bistrot de quartier, ce troquet mériterait plutôt l’appellation boui-boui. Avec tout ce que cela comporte de clichés: indifférence, produits d’origine incertaine, technique mal maîtrisée par des cuisiniers à peine sortis de l’adolescence.
Avec un tel nom, on propose ici une carte nippone faite de sushis et de sashimis et une seconde composée d’une cuisine chinoise hybride avec plusieurs spécialités sichuanaises – du moins, c’est ce que l’on essaie de nous faire croire. Le fait est que la cuisine sichuanaise est un brin provoc’, elle a de la personnalité et du mordant. La japonaise est inventive et séduisante. La cuisine du Soba n’a de provocant que la désolante exécution des plats, d’une platitude gênante. Quand on sait ce que la véritable cuisine chinoise nous réserve de surprises, quand on connaît la délicieuse obsession des Chinois pour tout ce qui est frais et spontané, pour ne rien dire de la technique.
Soba donne l’impression (corroborée par la suite) de n’être pas entretenu avec beaucoup de diligence. Pourtant, nous savons que tout ce qui est japonais brille de netteté et d’efficacité. Ici, il y avait huit employés (comprenant le sushi man qui donnait l’impression de s’ennuyer bien qu’il était le seul à donner un peu de soin à ses préparations) pour deux clients: nous. Un bon indice pour évaluer la popularité du lieu. Pour tout décor, un comptoir, quelques chaises de bistro en métal blanc empruntées à un autre style (français), quelques affiches de nouilles, des rideaux pour dissimuler les caisses de boissons gazeuses, un sentiment de perpétuel désordre. Oh là! Ça ne s’arrange pas une fois les plats sur la table, apportés sans égard de rythme avec la vélocité de l’éclair. Des dumplings fourrés au porc, cotonneux et insipides, sans doute décongelés avant d’être cuits à la vapeur. Des sushis à peu près corrects (bien que triomphe la goberge, ce faux crabe sans goût, coloré artificiellement) et se déclinant en une cinquantaine de variétés dont les prix varient de 3 à 6 $ la bouchée. En plat, catastrophe: une soupe soba faite de fausses nouilles soba, trop cuites, sans parfum ni finesse, servies dans un bouillon délavé auquel on ajoute quelques feuilles d’épinards. Triste comme la pluie. Les crevettes "à la sichuanaise" sautées avec des oignons et des quartiers de tomates dans une sauce gluante et rose fluo, sans doute l’aboutissement d’une trop forte addition de ketchup et de fécule de maïs. Du riz frit inodore et incolore, des nouilles à la Singapour au goût dissonant. Au secours!
Heureusement, ce n’est pas bien cher, 35 $ à deux, taxes comprises, le service n’étant pas nécessaire puisque vous le faites vous-même. Pas de permis d’alcool, pas d’Interac, personne ne parle français sauf la caissière, et le patron s’installe devant la vitrine en comptant son cash. Celui dont il vient de vous délester. Dans quel métier se croient-ils exactement? Et dire qu’ils ont utilisé une photo d’un livre magnifique de Terry Durack pour illustrer leur carte d’affaires. Ils auraient mieux réussi dans l’informatique.
BÉMOL: Faut-il en remettre?
DIÈSE: Bon, il y a bien quelques boissons gazeuses intéressantes, et un sourire ou deux de la part de la caissière.
Soba & Sushi Bar
5227, rue Sherbrooke Ouest
482-6883
SUR LES RAYONS:
Deux nouveautés utiles et qui ont belle gueule (ou mieux, une belle pochette):
Des éditions Trécarré, l’un de leurs premiers beaux livres (ils auront enfin compris qu’une jaquette et des photos parlent une langue éloquente; d’ailleurs, Oscar Wilde a déjà dit que seuls les imbéciles ne jugeaient pas par ce qu’ils voyaient!). Les Fromages du Québec de Richard Bizier et Roch Nadeau n’est pas un ouvrage encyclopédique (nous l’attendons toujours) mais un livre de recettes avec les fromages d’ici, qui est plutôt bien fait et organisé avec intelligence.
À la veille des grandes soirées estivales extérieures, on ne pourra pas se passer de Barbecue le livre de Steven Raichlen (Éditions de l’Homme). En fait, il s’agit d’un best-seller américain de 500 pages sur l’art de griller, de cramer, de roussir, de caraméliser, avec tout ce que ça comporte de techniques, de détails exhaustifs et d’iconographie didactique. Pour des amateurs comme nous, ce bouquin achevé et parfaitement structuré mérite davantage son titre anglais de bible. Sans aucun doute, un must pour l’été qui vient (s’il vient!).