N’est-ce pas un peu gênant d’inviter quelqu’un, une simple connaissance ou même une amie, à la toute dernière minute? Si? C’est bien ce que je crois. J’aurais dû y penser plus tôt. Tant pis. Je dînerai seul. Le Tire-bouchon s’impose presque de lui-même. On m’en a parlé, il n’y a pas un mois, et j’ai eu le temps d’aller deux fois zyeuter la carte affichée dehors, pratiquement sur le trottoir – là où des fumets en cavale viennent embaumer votre lecture. C’est pareil aujourd’hui. Avant même d’ouvrir la porte, je me laisse circonvenir par une odeur chaude d’anis ou de fenouil. Nouveau restaurant, oui, mais dans un lieu qui en a connu d’autres. Le seuil franchi, on se retrouve dans ce que j’appelle la salle du milieu. Certains y dînent en silence. Un bar-comptoir fait face à l’entrée et, derrière lui, le mur est un pan de vitrail: oiseaux blancs stylisés planant sur un fond de vert et de bleu. L’accueil est à peine souriant, mais fort courtois. Le service, quant à lui, se révélera professionnel et attentionné. Un coup d’oeil sur la gauche: elle est pleine, cette salle à manger qui fait l’angle de la rue et laisse entrer de partout un soleil bienheureux. Je ne me retrouve pas seul dans la "salle de droite": sept personnes, hommes et femmes, y terminent leurs entrées en conversant à bâtons rompus. La bonne odeur s’avère maintenant plus présente, presque familière, et nuancée d’autres parfums subtils qui donnent l’envie… de tout, de tout ce qu’on prépare ici. Serait-ce que j’ai trop faim? J’ai le choix parmi les cannelloni gratinés aux tomates et basilic, la salade de chèvre chaud aux herbes, la salade tiède de saumon fumé "Nordique", la pièce de veau braisée, la marmite de poissons du jour aux herbes fraîches… C’est peut-être cette dernière que je hume à en perdre la raison. Le menu du jour s’achève sur un confit de canard en salade et un sauté de boeuf "marchand de vin". Deux autres pages de la carte présentent le menu du soir et la table d’hôte champêtre – du navarin d’agneau au pavé de boeuf grillé "Vigneronne", en passant par le cassoulet "comme dans le sud-ouest", le pavé de morue fraîche, les cailles rôties à la forestière, le veau de Charlevoix… Et puis voici le verre de rosé (Coteaux du Frontennais) que j’ai commandé, servi presque en même temps que le potage du jour. Une bouchée, et je lève mon verre à la bonne idée que j’ai eue de venir ici. Sans atteindre la perfection, cette soubise mérite néanmoins l’attention et toutes les cuillerées que je lui accorde. Je lui reprocherais de manquer de sel, de n’être pas irréprochablement lisse et d’être arrivée jusqu’à moi avec quelques brins de fines herbes qui accrochent un peu. Rien de bien grave, en fait. Je porte à son crédit un assaisonnement réussi (à part le manque de sel), sa bonne odeur "maison" qui réconforte et même la discrétion de l’oignon, son ingrédient de base. Faute de pouvoir converser avec quelqu’un, je resquille de l’ouïe ce qui se dit chez mes voisins de salle. Ils en sont à l’anecdote amusante d’un enfant qu’on a failli baptiser deux fois. Ils parlent ensuite de voyages et abordent un peu plus tard des questions plus sérieuses, mais, à ce moment-là, j’ai les sens accaparés par la marmite de poissons du jour: trois poissons, mais six épaisses tranches de filet ceinturant une purée de pomme de terre (encore un petit déficit salin) surmontée de quelques légumes (céleri, tomates, carottes, etc.). Tout autour, un généreux bain de sauce, une sauce claire comme il se doit, goûteuse et parfumée. Elle se mangerait à la cuiller. Je l’épuise à grand renfort de bouchées de pain, y tournant et retournant aussi à plusieurs reprises mes bouchées de saumon, de vivaneau… Je mange heureux jusqu’à la fin de ma faim. Là, je m’engueule un tantinet, parce qu’il reste encore là, dans l’assiette, ces deux tranches de filet intactes, qui me bravent, me narguent, et que je n’ai plus le courage d’affronter. Je choisis de les ignorer et, pour bien signifier ma décision, je me fais servir un café. En ce qui concerne les desserts, je regarde mes voisins se régaler de sorbets colorés en songeant que la carte proposait également une crème brûlée aux zestes d’oranges. La prochaine fois, peut-être.
Restaurant Le Tire-bouchon
1648, chemin Saint-Louis
Sillery (Québec)
Téléphone: (418) 527-8778
Menu du jour: de 9,95 $ à 15,95 $
Menu du soir 5 services: 31,95 $
Table d’hôte champêtre: de 18,95 $ à 21,95 $
Dîner pour une personne (incluant taxes et boisson): 23,81 $
Tous sens en éveil
Les Tables régionales de l’Est-du-Québec est un organisme sans but lucratif qui s’est donné pour mission "de promouvoir une restauration régionale distinctive, et ce, dans une perspective de développement intégré des ressources bioalimentaires…" de la région du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Quelque 39 restaurateurs, aubergistes et hôteliers en font partie et convient le public en général à venir célébrer avec eux les "fêtes du Québec maritime" du 21 juin au 10 juillet. Mais vous avez tout de même jusqu’à la fin de l’été, et au-delà, pour savourer ces régions. "Goûtez l’est comme c’est bon!" ou "Goûtez… tous sens en éveil": c’est en ces termes que vous y invite Le Circuit des bonnes tables de l’Est-du-Québec, brochure promotionnelle que l’on peut se procurer gratuitement dans les kiosques d’information touristique. Elle présente succinctement chacun des établissements membres. Pour tout renseignement complémentaire, composez le (418) 738-2971 ou le (418) 723-2424. Vous pouvez aussi consulter le site www.lesbonnestables.com.