Il fait humide et chaud, poisseux presque, et la rue embaume de senteurs d’ail, de grillades, de noix rôties et de thé vert. Imaginez-vous en Indonésie. Ça ne devrait pas être trop difficile à ce stade étant donné le climat, un peu d’imagination, allez!
Pour vous aider, on vous traîne dans un restaurant indonésien. Le seul en ville. Et pour rendre l’expérience encore plus suave, on vous demande d’oublier que vous êtes sur la Main. La vraie Main, celle des lieux sordides, des bars tapageurs remplis de demoiselles avec des talons hauts comme ça, et des gargotes à hot-dogs et à frites dont l’huile n’a probablement pas été changée depuis la dernière guerre.
Ivan et Sambas, deux jeunes Indonésiens fraîchement sortis d’une école hôtelière suisse, ont ouvert Nonya, un petit fragment de l’Asie, intercalé entre des lieux de fortune bien montréalais. À part les préceptes du service et du management, ces deux amis ont aussi appris à parler le français. Ce qui nous change des bouis-bouis orientaux. Car Nonya n’a rien du troquet indigène, sinon une cuisine authentique tant dans les goûts, les parfums inusités de tamarin, de citron vert et de noix de coco que dans le niveau de combustion des chilis qui entrent dans presque tous les plats. Mais rassurez-vous, la cuisine n’est pas incendiaire, juste un peu provocante. Semblable au décor tout simple, un peu ringard, qui garde encore l’air décati des anciens usages – quels qu’ils fussent!
Ne vous privez pas, les plats sont faits à la minute, ils sont tous savoureux, singulièrement bien présentés (les professeurs suisses y sont peut-être pour quelque chose) et sont facturés aussi bas que 3 $. Comme ça, vous pourrez essayer un bon échantillon d’une carte qui ne comprend qu’une dizaine de spécialités. Par exemple, quatre crevettes sautées sont disposées autour d’un sambal à la mangue, relevé de jus de lime et d’une pincée de piment fort, un délice pour moins de 6 $. Le gado-gado, des légumes bouillis, pourraient paraître banals s’ils n’étaient recouverts d’une sauce exquise à base d’arachide et de tamarin, mêlés à du tofu frit et des croustilles de crevettes. Goreng signifie "passé au wok" et c’est ce que l’on vous propose sous forme de riz (nasi) ou de nouilles (mee), mélangé à des légumes, du porc ou du poulet et des oeufs, une version pittoresque du pad thaï des rues de Bangkok en quelque sorte. Cuisine de rue par excellence, les satay sont des brochettes d’agneau ou de poulet, relevées de piments et d’épices et servies avec une autre version de la sauce à l’arachide. Celles-ci sont remarquables et se présentent avec autant de grâce que ces plats de cuisine fusion des restos branchés mais ici avec bien plus de goût. On offre aussi des plats du jour, du poulet sauté mariné au tamarin et aux épices par exemple, qui évoque un peu certains caris indiens méridionaux. Si vous avez le courage d’essayer le dessert de glace pilée arrosée de sirop "rose" et de noix de coco, vous goûterez sans doute la meilleure "slush" en ville. En somme, ce nouveau troquet est un petit bijou (chut! on pourrait vous entendre), et procure le même plaisir qu’on voudrait trouver dans un grand resto. Pour deux repas, sans alcool, comptez environ 30 $ tout compris.
Nonya
1228, boulevard Saint-Laurent
875-9998
CAFÉ CULTURE
Du nom de la compagnie qui fabrique des vêtements, le Café America sert aussi ses employés. Ça se voit dans la clientèle, bien fringuée, vêtue de noir même en été. Et aux sons des portables qui sonnent sans arrêt. Ça se voit aussi dans ce décor de faux Moyen Âge (bien qu’à cette époque, l’Amérique n’était pas encore découverte…) fait de stuc de cinéma. Qu’importe puisque c’est réussi dans le genre insolite et que c’est tout à fait sympa et manifestement bien tenu. On s’installe donc à de grandes tables et sur des chaises en plastique vert de Réno-Dépôt (bon OK, un compromis) que l’on partage avec de parfaits inconnus -, et tant mieux si la conversation s’amorce. Car ce café est une manière de cafétéria qui servirait des plats maison: sandwich au jambon et suisse, pizza "thaïe" ou autres bricoles simples et sans prétention. Le menu du jour est facturé à 9 $ et comprend une soupe un peu fade, une quiche au fromage délicieuse, une petite salade et un dessert, ce jour-là une bagatelle "aux bananes" qui m’a rappelé ces moments de ma jeunesse où l’on mélangeait à de la crème fouettée tout ce qui se trouvait dans le frigo. Le café (pas terrible) est inclus. Mais on vous traite avec égards, la terrasse est très belle et l’endroit est somme toute assez paisible une fois le lunch terminé. On ferme tôt, très tôt.
Café America
20, rue des Seigneurs
937-9983