Dès les premiers instants, vous vous laissez aller. On ne vous veut que du bien. Le décor, la musique, les vins, les mets, tout conspire à votre bonheur. C’est bien de bonheur qu’il s’agit, quand on chérit longuement le souvenir d’une soirée dont on se plaît à déguster encore chaque minute. Cela commence par un accueil chaleureux, un sourire de bienvenue qui n’a rien d’emprunté, l’empressement d’un personnel stylé qui semble n’exister que pour vous. Comme par enchantement s’envolent vos moindres velléités de sobriété. L’apéro maison s’amène sans se faire prier. Frais, fort et traîtreusement savoureux. À base d’armagnac, de triple sec et de cidre rosé pétillant, il a pour nom "Le Légendaire" et se déguste dans des verres à martini que nous levons, mon amie et moi, sans prononcer une parole.
La pièce est circulaire, on s’en doute, blanche, de bonnes dimensions, éclairée de grandes fenêtres et d’une porte patio pour le moment ouverte sur la terrasse Dufferin peuplée de promeneurs. Des arbustes en pot, irrégulièrement espacés, en font le tour. L’imposante colonne centrale détaille sur ses facettes au moins une soixantaine de vins – quelques français et italiens, une majorité de canadiens, un australien, des champagnes… À même les carafons laissés sur notre table, nous ravitaillons nos verres en apéro. La vie se porte bien. L’appétit, qui n’a rien à se reprocher, trouve quelque distraction du côté des tapenades posées devant nous. La carte, sobre et ordonnée, tient sur une grande feuille cartonnée. Le carpaccio de boeuf (fromage Oka et vinaigre de cidre de Saint-Nicolas) s’impose d’abord à moi comme une certitude. Puis j’aperçois l’effiloché de canard confit de Saint-Apollinaire (pommes caramélisées, vinaigrette balsamique). Arrêt inattendu sur une soupe aux trois oignons gratinée. Mon amie me signale alors la salade dite César au Ciel de Charlevoix. Se laissera-t-elle tenter? À l’un des serveurs qui s’approche, elle se fait "expliquer" le cappuccino frais de concombres et mousse de fraises. Pourtant, nous choisissons l’un et l’autre des entrées dont nous n’avons même pas parlé. À chacun de nous, deux vins différents. J’apprécie l’Inniskillin, mais préfère de beaucoup le Riesling Réserve avec mon duo de saumons fumés de l’Île sur lit de pommes de terre à l’aneth. Il y a là de fines tranches d’un saumon fumé à froid, que je trouve excellent, et du saumon fumé à chaud, plus épais, qui se compare avantageusement à ce que j’ai mangé de mieux dans le genre. La chair en est moelleuse. Son goût, à la fois subtil et entêtant, vous comble comme un bienfait. Les serveurs eux-mêmes semblent heureux des commentaires que j’émets au sujet de cette petite merveille. Entre ses deux verres de vin (pinot gris, Jackson Triggs) mon amie navigue tous phares allumés. Elle aussi parle de merveille à propos de sa crème d’escargots assaisonnée d’une main sûre et onctueuse comme un rêve… galant. "J’en ai des frissons", dit-elle. Et cela se voit.
La suite nous emmène encore plus loin. Mon carré d’agneau se présente, piqué d’une branche de thym, dans une grande assiette creuse, de forme ovale. Deux serveurs disposent autour les accompagnements – des légumes du jardinier Leblond (mini-pâtisson, mini-fenouil, carotte, etc.), de la purée de pommes de terre, du gratin dauphinois. On mangerait seul chacun de ces éléments et l’on s’estimerait comblé. Imaginez un peu les mille et une combinaisons qu’on se permet d’une bouchée à l’autre. Sous sa croûte de moutarde et de miel, la viande se révèle d’une tendreté exceptionnelle et distille en continu, dans la bouche, un jus riche, capiteux, au goût franc. Je n’ai pas voulu de vin, mais je me permets quelques gorgées dans l’un ou l’autre des deux rouges (dont un Château des Charmes 2000) servis à mon amie complètement subjuguée par un coq au vin classique (et abondant) qui lui a figé un sourire béat sur les lèvres. Peut-être avons-nous, pour la bonne cause, un peu perdu la raison. Autrement, aurions-nous accepté de passer ensuite au plateau de fromages et à un vieux porto (Setubal Superior 1962, José Maria da Fonseca)? Au moment où partent les derniers clients, nous entamons… nos desserts. Une généreuse crème brûlée à l’érable et Sortilège, pour moi qui n’en peux plus, et une tarte aux poires rouges Anjou (crème à la cannelle) pour mon amie qui déclare à chaque bouchée que c’est bien la dernière.
Restaurant La Rotonde
Fairmont Le Château Frontenac
1, rue des Carrières
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 266-3966
Plats à la carte: 26 à 31 $
"Conjugaison gourmande": 49 $