Pour recréer cette ambiance-là, le restaurant Vegera, installé depuis quelques mois sur la rue Bernard – le moins beau tronçon de la rue Bernard, celui d’outre-Outremont -, n’a pas cru utile de couvrir ses murs de filets de pêche, d’ancres de capitaine et de poissons séchés. Il a misé sur l’élégance et le sybaritisme, deux vertus qui, si elles sont accolées à de l’excellente cuisine, ont de fortes chances d’être couronnées de succès. Le décor est lumineux, frais et moderne, sans cette froideur souvent cadavéreuse des restos à la mode. C’est peut-être dû au dépouillement: il n’y a presque pas d’éléments décoratifs, sinon la couleur douce des murs qui rappelle – mollement – une crème au beurre ou l’intérieur du galaktobouriko grec. Et la terrasse couverte est charmante avec ses chaises comme sur les grands boulevards parisiens et une allée de cèdres pour la dissimuler aux regards des passants. Parlant grec, c’est à cette enseigne, bien entendu, que Vegera a planté son drapeau. Ou plutôt à l’enseigne d’une cuisine fictivement rustique inspirée des saveurs et des assaisonnements grecs, et façonnée avec une technique moderne, davantage française qu’hellène. Ce n’est pas étonnant puisque le chef a fait ses classes chez Milos et Faros, deux institutions du genre qui ont redonné un peu de noblesse à cette cuisine trop souvent mal interprétée chez nous.
La carte est courte et propose surtout des grillades, de viande et de poisson, facturées au poids. Et comme dans toute chose, le plus simple est souvent le meilleur; et puisque les Grecs sont parmi les meilleurs grilleurs, on peut difficilement résister à ces saumons, bars, et autres merveilles marines. Mais si vous souhaitez des choses plus humbles, vous pouvez (et devriez) faire un repas entier de mezze, les hors-d’oeuvre si chers à la culture de la mer Égée. Comme une assiette de légumes grillés, malheureusement servis sans sel, un hommage à la terre, des aubergines et des courgettes fondantes, des tomates et des oignons délicatement carbonisés, des pleurotes et des poivrons (rouges uniquement, ouf!) sucrés et merveilleusement odorants. Les calamars, farcis d’un fromage onctueux et plutôt doux, sont à mourir. Embrasés par la chaleur, ils ont ce goût de la campagne qui rencontre la mer, si puissamment évocateur de vacances. Comme c’est bon, à l’égal de la pieuvre attendrie dans "la machine à laver", selon le serveur, et servie en salade avec des oignons rouges et beaucoup de jus de citron et d’huile d’olive. Les moules sont simplement étuvées au vin blanc, et la petite friture d’aubergines et de courgettes, légérissime, cache une herculéenne montagne de tzatziki, aillée à faire fuir les voisins de table, mais garantie antiseptique et contre toute attaque de moustiques. En finale, on propose des baklavas faits maison pour les appétits colossaux, mais une portion de yaourt grec (riche et dense) servi avec des cerises noires d’Irinos laisse une impression (cependant artificielle) plus estivale.
Disons-le sincèrement, les restaurants grecs de Montréal n’ont pas toujours la cote, question civilité. Mais ce n’est pas le cas ici, tout est policé tant dans l’accueil courtois et souriant que dans le service parfaitement éduqué et efficace. Oui, il faut savoir être patient avec une cuisine comme celle-là, précise et faite à la minute à partir de produits frais. Mais faites donc comme en Méditerranée et détendez-vous. La carte des vins est inachevée, mais on vous offre quelques petits crus grecs pour compenser. Le hic, ce sont les prix plutôt mirobolants, dans la lignée de ceux des restos du boulevard Saint-Laurent. Comptez environ 120 $ à deux avant le vin, taxes et service compris.
Bémol: des prix, hum! un peu surexcités pour des plats si humbles, comme une salade de tomates à 12 $!
Dièse: les détails de la cuisine, du service, du décor. Un certain je-ne-sais-quoi séduisant dans l’attitude altière du service.
Vegera
228, rue Bernard Ouest
490-4222
RENDEZ-VOUS TERRASSES
Avec sa formule à 20 $ pour un menu de trois services, le restaurant La Bastide (151, rue Bernard Ouest, 271-4934) continue de nous en mettre plein la vue et l’estomac. On se réconforte sur la jolie terrasse aménagée comme dans certains villages des Pyrénées. Protégée des regards par des voilettes blanches et garnie de grands coussins comme en Afrique du Nord, cette terrasse est chic et gracieuse, l’une des plus délicieuses en ville. Et certainement l’une des plus tranquilles, vu le quartier. Profitez-en pour venir à l’heure des tapas, offertes à l’unité.