Restos / Bars

Europea : Corne d'abondance

À peu de chose près, l’Europea est tout ce qu’on souhaite d’un restaurant français. L’un des patrons vous accueille avec une assurance admirable et décontractée; la carte est moderne, atypique et promet quelques surprises.

À peu de chose près, l’Europea est tout ce qu’on souhaite d’un restaurant français. L’un des patrons vous accueille avec une assurance admirable et décontractée; la carte est moderne, atypique et promet quelques surprises; la cuisine est splendide et le rythme en crescendo de la soirée est ponctué de pauses gourmandes; vous savez que vous êtes entre des mains expertes dès le premier contact. Car derrière la bonhomie et le sourire, il y a une volonté de fer. On voit à tout, on suggère le vin, le plat, le café, la volaille, le canard, le foie gras, on s’enquiert de votre bien-être – mais tout discrètement -, et tout ça, avec un charme épatant. Oui, ce resto fait montre d’une surprenante expertise. Sur tout.

Pourtant, on n’entre pas là sans se demander si l’on ne s’est pas trompé d’endroit. On ne se croirait pas tout à fait chez un cuisinier, le décor évoquant plutôt les cruising bars des années 70. Des lieux exigus et sombres ornés de matières bon marché: de la cuirette style peau de serpent teinte en bleu et jaune sur les banquettes, le long de murs couverts de miroirs ou de peintures qu’on dirait à numéros, des objets hétéroclites et farfelus partout – la totale, quoi! En fait, ce décor est tellement kitsch qu’il en est presque touchant.

Heureusement, il n’y a rien de kitsch ni d’insolite dans la cuisine du chef Jérôme Ferrer, un Méridional d’ascendance espagnole qui, avec deux de ses compatriotes du Languedoc, avait tenu pendant plusieurs années un resto dans cette région, à deux pas de la Méditerranée. Et c’est à cette tradition d’abondance, de générosité et de parfums francs que se consacre Europea.

On en prend conscience avec les amuse-gueules qui accompagnent l’apéro, des bouchées de pruneaux et de jambon fumé, et avec la mise en bouche qui se présente avec tous les repas: ce soir-là, un petit plat de lentilles cuites au bouillon, explosant littéralement en bouche tant les goûts d’herbes fraîches et d’huile d’olive sont vigoureux. On monte d’un cran avec un potage d’asperges fraîches servi chaud, crémé avec abandon et orné de pelures de tomates frites et de cerfeuil. Le millefeuille de légumes grillé à l’huile d’olive apparaît comme une variation déconstruite et élégante de la ratatouille: servi en tranches minces, composé d’aubergines et de courgettes poêlées, d’oignons et de tomates, le tout étagé avec précision et reposant sur un coulis de tomates fraîches légèrement émulsionné. Ces deux entrées toutes simples témoignent des meilleures vertus de la cuisine française méridionale: un produit frais, impeccable, des mariages heureux et francs et des parfums affirmés.

Des vertus qui se dévoilent encore plus dans les plats: un pavé de thon bien saignant nappé de tomates rôties, poêlé à la perfection et servi avec une petite purée de pommes de terre et quelques haricots; un plat dont l’apparente banalité est contredite par une composition appétissante et doucement japonisante. Et les ris de veau, parfaitement nettoyés (un luxe pour les Français vu qu’ils sont désormais interdits en France), légèrement farinés et poêlés au beurre et à l’huile d’olive, ce qui leur donne un petit craquant irrésistible et une saveur caramélisée, sont exquis avec leur jus dense auquel se mêlent des échalotes et des gousses d’ail rôties que l’on dévore tels des bonbons. Avant le dessert – une gaufre caramélisée au sirop d’érable, ou quelque chose du genre, servie avec une glace vanillée et des cerises confites -, on vous apporte un pré-dessert, une bouchée mielleuse de quelque chose, et après le dessert, on en remet avec des physalis trempés dans le chocolat, histoire d’accompagner ce verre de Maury que l’on propose si vous avez fait preuve du péché d’authentique gourmandise.

Petit éden gourmand caché dans un sous-sol, cet endroit est probablement l’un des plus inattendus et des plus originaux du centre-ville. Et avec des prix très modérés pour le quartier, une cave modeste mais réfléchie et un service professionnel, voilà une maison qui respire le sérieux et qui fera du bruit. Comptez environ 85 $ à deux le soir, taxes et service compris, beaucoup moins à l’heure du lunch.

Bémol: Il y a un fort écart entre le raffinement de la cuisine et la trivialité du décor, nous dirons presque de faux accords, de l’atonalité.

Dièse: Agréable surprise quant au service, la remarquable qualité des produits et leur traitement respectueux, la simplicité des préparations, l’assaisonnement précis!

Europea
1227, rue de la Montagne
398-9229