Restos / Bars

Vago : Triumvirat

Un pour tous, tous pour un. On dirait bien que c’est là la devise de ce restaurant baptisé Vago et dont les trois patrons sont respectivement italien, portugais et grec; l’un est en salle de soir, l’autre de jour, et le troisième dirige les fourneaux: on vous laisse deviner lequel.

Un pour tous, tous pour un. On dirait bien que c’est là la devise de ce restaurant baptisé Vago et dont les trois patrons sont respectivement italien, portugais et grec; l’un est en salle de soir, l’autre de jour, et le troisième dirige les fourneaux: on vous laisse deviner lequel. Trois cultures soeurs de la Méditerranée, trois gastronomies qui ont beaucoup en commun, des produits, des techniques, des parfums et des goûts cultivés par les femmes, malgré le patriarcat indiscutable, et ça, depuis des générations.

Pourtant, Vago est un restaurant d’hommes (l’équipe entièrement masculine tant de jour que de soir le prouve) qui sert une cuisine virile aux parfums puissants, robuste mais raffinée, une cuisine qui garde en permanence un oeil sur le terroir italien et un autre sur le reste du monde. Cela donne des plats classiques de grandes maisons, une cuisine qui, sans être démesurément créative, reste lumineuse et un tantinet originale. Car si la cuisine italienne est une cuisine de femmes, ce sont bel et bien des mains d’hommes qui la réalisent ici. Et ce chef donne des lettres de noblesse à une cuisine simple, en réunissant maîtrise des techniques (cuisson des pastas, des viandes, justesse des sauces, des assaisonnements) et légèreté, sans jamais tomber dans l’italo-américain souvent inodore et insipide.

Décoré comme un palazzo florentin, élégant et sobre malgré quelques touches baroques – des rideaux de tulle, du bleu nuit, un peu de marbre et de bois, des chaises à l’italienne, des miroirs -, l’endroit est confortable et surtout ensoleillé sur une rue et dans un quartier qui favorisent habituellement le style club anglais néo-victorien. Les patrons ont fait un usage intelligent de l’espace en créant trois salles distinctes, liées par des passages et des escaliers.

La carte ne surprendra personne, puisqu’elle défend une tradition bourgeoise dont certains plats ont une parenté manifeste avec celle de sa voisine, la française. Les viandes ne se limitent pas au veau et au poulet, mais leur font une place importante. Cependant, et comme dans beaucoup d’endroits du genre, les pastas occupent une bonne partie du menu. Tous les classiques y figurent, et l’on peut s’en faire un plat principal ou, à la demande, une entrée. Avant toute chose, on propose quelques bruschette frottées à l’ail et garnies de dés de tomate et d’huile d’olive. La formule table d’hôte tergiverse autour de 24 $ (sans dessert), ce soir-là du prosciutto d’origine, moelleux et parfumé, marié à du melon parfaitement mûr et sucré, une association idéale pour une soirée chaude[C1]. Les tagliatelles putanesca, célèbres pour avoir été offertes aux putes de Rome, sont sautées avec de l’ail, des anchois, des tomates et des olives noires, parfois des câpres – c’est le cas ici -, parfois une touche de piment rouge. Il y a quelque chose d’un peu vulgaire dans cette sauce, de là son nom, bien que tant d’ail ne devait pas concourir à la popularité de celles qui en avaient consommé… Pas grave, nous aimons tellement les tagliatelles de cette maison, soignées et fines. Le saltimboca, des escalopes de veau poêlées avec des feuilles de sauge fraîche et nappées d’une réduction de vin blanc débarrassée de son acidité par l’addition de beurre, fond en bouche et, pour une fois, évite le piège de la banalité avec un accompagnement de légumes sautés – patates rôties au romarin, petit poivron jaune poêlé, courgettes sautées. En plat, nous nous offrons encore des pâtes, rien que pour cautionner Fellini quand il affirmait que "la vie était constituée de pasta et de magie". Un midi, des penne à la calabraise sautés au rapini et à l’ail dans un bouillon de volaille dense, un délice; ou en sauce aurore – rosée -, tomates, artichauts (frais), olives, ail et épinards, autre bonheur.

À la carte des desserts, les propositions habituelles: tiramisu maison onctueux et richissime, crème brûlée – hum! -; rien qui nous donne particulièrement envie de terminer sur une note douce. Mais on craque devant de très bons biscotti que l’on trempe dans un doigt de marsala: rien de tel pour se sentir bavard comme une pie. Le service est assuré par une équipe sérieuse et attentive, et la carte des vins fait une courte virée dans les régions de l’Italie sans pour l’instant nous émouvoir. On a la gentillesse de nous offrir quelques bons crus au verre cependant. Un bon point. Comptez environ 65 $ à deux le soir, avec les taxes et le service, bien moins cher que certains palaces branchouilles et bien meilleur.

Bémol: Une clim réglée pour les fiévreux; on gèle.

Dièse: Même si la cuisine est un peu sage, ce restaurant soigné ne loupe aucun détail, ça se sent en cuisine et en salle.

Vago
1336, avenue Greene
846-1414