L’hôtel s’appelle le Nelligan, du nom de notre poète symboliste le plus connu, et son hall d’entrée évoque quelque grande maison d’une lointaine colonie d’une grande puissance légèrement sur le déclin… Une ambiance vaguement tropicale, lénifiante, un décor assez splendide et réussi pour accueillir les visiteurs, mélange de très moderne et d’un peu 1900. Et, par extension, son restaurant porte le nom de Verses. Nelligan, poésie, versets – vous me suivez? Pas complètement, puisque verses est l’anglais pour versets. Pourquoi lui retirer son "t"? Pour faciliter la prononciation? Pour faire branchouille? On nous répond que c’est une question de marketing! Peut-être les patrons ont-ils confondu le poète et le joueur de baseball américain.
Heureusement, cette frivole dérision s’évanouit lorsque se présentent les plats, car on distingue ici une cuisine inspirée qui ne renie ni le classique ni le terroir. Ainsi, le chef n’use et n’abuse pas des épices, mais exhibe plutôt dans ses créations un sens du détail pointu, avec des saveurs précises, travaillées au millimètre. Le chef, c’est vrai, se permet des petites fantaisies trendy – coulis ici, herbages là – mais qui n’ont rien à voir cependant avec les délires acrobatiques de certains cuisiniers, dont on dirait qu’ils ont pris des poppers avant de commencer à bosser. Celui-ci est sérieux et appliqué, et ses décorations ont un sens, même si elles ne sont pas toujours indispensables.
En entrée, un appareil au crabe, parfumé au safran, est cuit dans un petit feuilleté, un peu cotonneux cependant, mais servi avec une bouchée d’une sorte d’émulsion au wasabi. Délicieuse. Et parfaitement adaptée à la chair délicate du crabe, car bien que le wasabi soit tonitruant avec un sushi, on le travaille ici avec un peu de mayonnaise, ce qui l’adoucit sans lui enlever son tempérament. Quelques petits grains de caviar et des tranches infiniment minces de betteraves crues complètent cette assiette assez jolie. Le saumon mariné, façon gravlax, au sel, est moelleux et succulent, servi sur une galette de pommes de terre minces et craquantes, entre lesquelles on met un peu de ce même saumon cru en sauce, décoré avec des oeufs de caille, une goutte de sauce, un trait d’huile, un peu de tomates émincées. Ce plat réussit à nous ouvrir l’appétit en dépit de la chaleur.
En plat, l’agneau décliné de trois manières – ris poêlés au beurre, jarret en sauce, et la côte grillée – est un plat absolument magnifique, sage, classique et à la fois parfaitement étudié pour éviter la grossièreté qu’une telle proposition pouvait laisser pressentir. Aucune vulgarité cependant dans cette trilogie, et bien que les portions soient généreuses, on sent la force tranquille et la main sûre. Accompagnée d’un peu de couleur (dont un trognon de brocoli à l’eau, une carotte, une courgette, des haricots blancs cuits avec une touche d’ail, et une julienne de pommes de terre), cette préparation affiche des relents du Sud. Le canard en magret est goûteux, la peau craquante contrastant avec la chair saignante et légèrement ferrugineuse, servi sur une sauce un peu sucrée (au sirop d’érable, il faut bien faire avec les produits d’ici), mais qui s’oppose bien avec le gras et le goût franc de la volaille. On l’accompagne de chou rouge braisé, une note germanisante tout à fait dans le ton de cette cuisine bourgeoise parfaitement maîtrisée.
En douceur, un gâteau à la noix, fait d’une sorte de génoise aérienne, assez peu sucrée, qu’on associe à une glace maison à la pistache délicate dont la couleur caramel étonne, tellement on s’est habitué au vert phosphorescent des glaces de quartier (industrielles, bien sûr).
Cuisine très bien troussée, avec des sauces et des accompagnements faits à partir de produits de qualité; ce resto aurait toutefois besoin d’un personnel de salle plus qualifié et surtout plus souriant. Quelques bons vins sur une carte qui mérite qu’on la travaille encore un peu. L’accueil est flegmatique, presque froid, et le service reste amateur, fait par de jeunes personnes qui ne connaissent ni le menu, ni les vins, ni le nom du chef, et qui vous sondent à chaque instant avec des "c’est à votre goût?"! Comptez autour de 110 $ pour deux repas, avec les taxes et le service, avant le vin.
Bémol: Une nette impression que le lieu est une autre de ces machines commerciales destinées à pomper le fric. Beau, oui. Bon, certainement. Sincère?
Dièse: Le point fort reste la qualité indéniable de la cuisine.
Verses
100, rue Saint-Paul Ouest
788-4000