Christophe Geffrey, Breton extraordinaire, formé chez Loiseau, engagé à titre de chef personnel de Mitterrand, ancien chef du Vogue et du Club Saint-Denis, a fait d’un petit bistro tout mignon tout sympa un petit temple du goût juste et pointu. Comment fait-il? Il fait lui-même ses courses au marché, choisi les produits en saison, et s’inspire – sans en devenir la victime – de l’air du temps. Lui rendre visite, c’est se laisser aller aux bonnes et belles choses qui font encore la réputation des grands chefs français. Que ça fait du bien de redécouvrir un chef jeune et plein de talent et de ressources, plein d’enthousiasme et qui nous propose une cuisine généreuse, franche et à laquelle on croit. À partir de maintenant, je ne jure que par lui!
Il n’y a ni terrasse ni jardin chez Christophe, au coeur de l’Outremont populaire. En temps de canicule, cela explique ceci – le restaurant est quasiment désert un samedi soir. Chez Christophe il n’y a qu’une cuisine superbe, intelligente et saoule d’un panache si rarement atteint, abouti presque. Un souffle, une grâce et surtout une technique formidable permettent à ce chef de faire des choses remarquables à chaque plat.
Le décor est sobre, clair et élégant, presque pudique, dans des tons de beurre et crème aux marrons. Le fond sonore est exactement cela, un fond – bossa-nova brésilienne, son cubain, Brel ou Evora, rien qui ne puisse nuire à l’ambiance que les convives choisissent eux-mêmes de créer entre eux. C’est apaisant et dépaysant.
La carte est courte et change au gré de l’humeur du chef, on s’en doute. Il improvisera une petite glace à la dernière minute, fera sauter un pétoncle s’il lui en prend l’envie et s’il sent chez son admirateur une gourmandise à toute épreuve. Les menus en semaine sont facturés autour de 25 $, dessert inclus. Le week-end, on y propose un menu gastronomique à 45 $, qui comprend quatre ou parfois cinq services.
Voyez donc: en entrée, quelques feuilles de laitues primeurs nappées d’une vinaigrette aux truffes, qui redéfinissent le sens d’une salade d’été. À base d’un jus de viande, le chef ajoute un peu de vinaigre de truffes, d’huile de truffes, et de lamelles de truffes fraîches qu’il émulsionne au pulser; nous hurlons de bonheur.
Des chanterelles poêlées simplement au beurre et à l’huile d’olive sont servies avec trois oeufs de cailles dans un joli ramequin de faïence. Un pressé de tomates et de bocconcini permet au chef de composer un plat inspiré de l’Italie, recomposé par l’elfe breton et, surtout, par une technique parfaitement maîtrisée. Car il faut savoir que ce qui distingue souvent les cuisiniers français des autres, c’est leur formidable apprentissage de la technique, et dans ce sens, chez Christophe, elle est naturelle et souple, presque imperceptible.
En plat, le gigotin d’agneau tranché, posé sur un jus dense et formidablement franc, servi avec des aubergines miniatures farcies de chair de courgette et accompagné d’un artichaut poêlé, et les pétoncles grillés, présentés sur un jus de persil, juste passé avec un peu de jus de viande, une espagnole en somme, sont des plats recherchés sans être trop cuisinés. Dans ce registre, le magret de canard se présente avec un doigt de foie gras – le chef aime – et une sauce courte et parfumée à la liqueur de bleuet, qui nous semblerait presque banale si ce n’était si transparent, mais comme toutes choses, la simplicité l’emporte toujours. Un autre soir, le chef a grillé à la perfection des filets de rougets fraîchement pêchés, qu’il a servis sur un concassé de tomates jaunes et rouges; ce plat nous a tiré un sourire aussi grand que l’Atlantique – et quelques larmes aussi.
En dessert, on fait léger: beaucoup de sorbets fraîchement turbinés à la carte dont un lait de menthe, sorte de gelato infusé de menthe fraîche, ou des glaces à la fraise, à l’abricot, parfois présentées en soupe avec des groseilles, des fraises, des bleuets, dans un jus de pamplemousse. Ou mieux, dans une soupe froide infusée à la badiane aux pêches à l’eau de rose, des compositions savantes et complexes. À la table d’hôte, on propose une sorte de soufflé au chocolat onctueux et irrésistible accompagné d’une cuillère de lait de menthe glacé.
C’est tout simple, l’ensemble ronronne de bonheur. Précipitez-vous – mais pas tous ensemble tout de même! Comptez environ 75 $ à deux tout compris pour un mémorable repas. La moitié moins à midi, mais oui!
Dièse: La précision, la justesse, raffinée mais jamais empotée dans des saveurs confuses; c’est la cuisine qui remporte la palme, haut et court.
Bémol: Le service n’est pas encore tout à fait à point, entre l’hésitation et la naïveté, mais il se fait tout sourire. Cela compense largement – pour l’instant du moins.
Christophe
1187, avenue Van Horne
270-0850