Les Italiens sont établis à Montréal depuis plus d’un siècle; certains auteurs rappellent qu’il y en avait même quelques-uns – un cuisinier et un moine – sur les bateaux de Jacques Cartier. Aujourd’hui, ils sont la troisième communauté en importance à Montréal; plus de 250 000 d’entre eux ne vivent que pour la pasta, la pizza et Prada. Ce n’est pas étonnant que notre histoire d’amour commune soit aussi intense, avec, bien entendu, divers épisodes d’escarmouches occasionnelles, comme tous les vieux couples. De tout ce que les Italiens nous ont inculqué, nous retenons surtout le soccer, l’espresso et la cuisine familiale.
Simple restaurant de quartier, Piano, Piano, dont le nom signifie «doucement» en italien, est tenu depuis plus de cinq ans déjà par un couple de Franco-Italiens et propose une cuisine italo-montréalaise modeste et bien faite, un tantinet nostalgique. La salle néo-chalet de ski évoque toutes sortes d’endroits familiers et cosy: la campagne suisse, québécoise, le New Hampshire, la Provence. On a décoré avec un peu de dentelle, du bois et même des posters de stars du golf (signés SVP!) et de cactus en plastique dans les toilettes. Aucun danger pour les distraits de s’y piquer.
Côté cuisine, il n’y aura jamais aucune révolution dans cette maison, car la carte se contente des plats emblèmes d’une variété de cuisine qu’on ne retrouve pas en Italie, (entre autres choses, la salade César inventée dans un hôtel de Tijuana, au Mexique, en 1924) et qu’elle propose depuis son ouverture. On sent toutefois que le chef déploie une certaine sincérité dans les préparations, bien que les produits soient plutôt quelconques.
En entrée, la foccaccia aux herbes et à l’ail est proposée au menu et non pas offerte en amuse-bouche comme elle l’est habituellement. Assez bonne, elle joue un meilleur rôle de coupe-faim que le pain en corbeille. L’entrée de prosciuttino (annoncée comme prosciutto) est normalement servie avec des fruits; nous réclamons exclusivement du cantaloup qui se présente en belles tranches, parfaitement mûr et sucré. C’est un tout autre contraste avec la viande un peu coriace et sèche. Une réjouissante salade de fenouil frais et de tomates a des allures de cuisine maison, simplement nappée d’une crème allongée d’un peu de vinaigre. L’escalope de veau au marsala s’accompagne de petits légumes sautés à l’huile, encore un peu croquants, de pommes de terre rissolées au romarin et à l’ail et de champignons de Paris sautés au beurre. Moelleuse et fondante, la viande perd cependant un peu de saveur dans la sauce sucrée. Les penne all’arrabiata ont ce petit mordant des plats du Sud qui leur est donné par l’usage (et non l’abus) d’un peu de piments cuits à même une sauce à la tomate aigrelette.
En finale, on offre une ribambelle de gâteaux et tartes à la française, mais nous leur préférons les gelati – sorbet au chocolat remarquable, érable, pistache, praline – faits sur place, avec soin. Comptez 60 $ à deux, avec les taxes et le service.
DIÈSE: La simplicité, le manque total de prétention.
BÉMOL: Un style de cuisine un tout petit peu brouillon tout de même.
Piano, Piano
2534, rue Beaubien Est
727-7732
Rapport d’un inspecteur du Guide Restos 2003
Jetés dehors parce qu’on n’a pas mangé toute notre soupe! C’est le sort que nous ont réservé jeudi dernier les propriétaires du peu recommandable Spirite Restaurant and Lounge.
D’entrée de jeu, le «concept» de l’établissement, basé sur une liste de «règlements», nous a laissés sans voix. Au Spirite, nous a longuement expliqué le serveur, il n’y a qu’un seul menu (soupe, plat principal et dessert). Ce menu, il faut le bouffer jusqu’à la dernière miette, faute de quoi on est «pénalisé». Vous ne mangez pas votre soupe et votre pain au complet? Deux dollars d’amende au profit d’une oeuvre charitable (on ne précise pas laquelle). Vous ne terminez pas le plat principal? Pas de dessert! Et si par malheur, vous êtes incapable d’ingurgiter tout votre repas, on vous bannit à vie du restaurant!!!
Le pire, c’est qu’au Spirite, on n’entend pas à rire avec les «règlements».
Ma compagne a d’abord refusé de prendre une soupe. «Désolé, madame, mais la soupe est obligatoire.» Puis elle a refusé de la terminer et proposé de payer l’amende. Nouveau refus. «Donnez-la à votre chum, y a l’air d’aimer ça…»
Devant l’impasse, le serveur a fait appel à l’artillerie lourde: Monsieur Spirite lui-même, le maître d’hôtel. L’air irascible, il a enligné ma blonde à six pouces du visage et gueulé: «Hé toué, ma fille, tu l’aimes pas ta soupe? Pis t’as pas compris le règlement quand té rentrée? Ici, on mange sa soupe, c’t’un restaurant-concept!»
Mauvais goût? Impolitesse crasse? Misogynie? Sûrement un peu des trois. Et c’est la raison pour laquelle le Guide Restos Voir accorde au Spirite Restaurant and Lounge (1201, rue Ontario Est) la note exceptionnelle, inédite et bien méritée de triple zéro pour l’ensemble de son oeuvre.