"Quand le film est triste…", dit la chanson. S’il s’agit d’un souper, les pleurs font place à une espèce de colère sourde. On se retient d’exploser, surtout quand la serveuse et les serveurs qui s’occupent de votre table font de leur mieux, vraiment de leur mieux, et avec une grande gentillesse. Et il y a aussi l’ambiance, cette musique dont vous avez tant besoin pour vous calmer ou vous consoler, on ne sait plus. Dehors, un tableau présentait l’essentiel de la carte (viandes et marée), tandis qu’une affiche annonçait la présence de "Raoul le Chilien" du mercredi au samedi soirs. Ce chanteur est là en effet, à l’intérieur, installé dans un angle de la première salle à manger, les doigts voletant sur son clavier. Le rythme entraînant d’un paso doble marque notre arrivée: "Que viva España…" La voix est chaleureuse, le tempo vif. Ça vous ensoleille tout de suite l’humeur. Deux clientes discutent près de la fenêtre, un groupe de sept personnes occupe la table voisine de la nôtre. La vue des assiettes presque vides – pilons de poulet, reste de riz, coquilles de moules… – aiguise notre faim, une faim qui n’a pas besoin d’apéro pour exister, mais nous commandons tout de même deux verres de muscat. La serveuse, un peu désorientée, nous raconte que seul le vin maison est servi au verre. Nous lui montrons donc cela sur la carte, ainsi que l’indication figurant à côté: "Peut aussi être pris en apéritif…" Elle s’en va, puis revient avec deux verres de Beaumes-de-Venise, deux verres si grands que mon amie s’exclame: "Ils vont se ruiner!" Nous trinquons, puis passons aux choses sérieuses: potages, escargots, cuisses de grenouille et coeurs d’artichauts précèdent les escalopes, les entrecôtes, le mijoté de veau, les rognons de veau au madère, ainsi que la timbale ou la brochette de fruits de mer. Notre inventaire s’achève sur une bouillabaisse marseillaise, des pâtes et quelques autres mets. Mon amie se passera d’entrée. Je me fais servir le potage du jour, en l’occurrence une crème de légumes qui m’arrive bien chaude et qui embaume. Elle a bon goût, mais n’a rien du velouté d’une crème. Alors que je me demande si "leur" passoire avait des trous, mon amie rigole: "Il y a beaucoup de fibres, c’est bon pour le transit…" Elle ne rira pas bien longtemps, mais elle l’ignore encore. Mon bol repart à moitié vide (ou plein) pour les cuisines. À peine ai-je le temps de dire "ouf" que nos plats de résistance nous sont amenés, fumants et, encore une fois, odorants. Deux verres de vin maison nous sont prétextes à trinquer. Dans l’assiette de mon invitée, de gros morceaux de lapin à la moutarde, bien nappés de sauce, voisinent avec des légumes (chou-fleur, brocoli, carottes, courgette). L’accompagnement comprend aussi des pommes de terre (poêlées à l’oignon?) qui pourraient faire penser à un gratin dauphinois bruni. De très bon goût, tout cela, mais la cuisson du lapin se révèle imparfaite – une bouchée tendre pour trois coriaces. De mon côté, pas le coeur à rire du tout! Ben oui, j’ai choisi une paëlla valenciana. Des odeurs agréables montent de l’assiette métallique brûlante, hérissée de quatre moules. Deux grosses crevettes (un peu coriaces), plusieurs petites (mangeables), une tranche de poisson (cuit à point, mais un peu fade), des tranches de chorizo, des petits pois et des rondelles de carottes se prélassent dans un lit de riz dont j’aurais fait l’éloge si l’on avait eu la bonne idée d’y mettre un peu moins de sel. Rien d’emballant jusqu’ici. Tout à coup, je sursaute. "Tu ne l’avais pas encore vu?" demande mon amie qui avait déjà repéré l’"objet". Un morceau de chair de goberge qui, encore une fois et toujours de trop n’importe où, se prend pour du crabe. Je gronde: je ne discute pas le prix des plats, mais m…! qu’on serve ce qu’on annonce! C’est à ce moment précis que la serveuse s’amène pour s’enquérir de nos états d’âme: je la renseigne précisément, et avec un calme qui me surprend moi-même. La musique adoucit les moeurs, surtout ce tango auquel je m’accroche pour me sentir loin d’ici. Nos assiettes repartent, un peu bouleversées, mais pas trop entamées. En guise de dessert, nous terminons la soirée avec ce qui nous restait de muscat dans nos verres – et que la serveuse avait eu l’amabilité de nous garder au frais.
Restaurant La Calèche
595, Grande Allée Est
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 521-2373
Table d’hôte: 19,95 à 33,95 $
Souper pour deux (incluant boissons, taxes et service): 66,18 $