Vraiment! Giovanni Apollo, Napolitain de naissance, ancien élève de Bocuse, grand voyageur et grand, très grand cuisinier, a plus du chef français que du chef italien. Il en a la précision maniaque et la compréhension des saveurs franches, sans complications excessives. De l’Italie, il a toutefois la truculence et le sens de l’humour. Tout ça, on le sent dans chaque bouchée, à chaque étape d’un repas qui restera en mémoire.
O.K., c’est un restaurant de chef. O.K., c’est cher. Mais l’expérience vaut chaque dollar et des sacrifices pour plusieurs. Or, pour manger de cette cuisine-là, il n’y a que les meilleurs. Et les meilleurs, ça se paie!
Si le décor est un peu désincarné, avec des couleurs qui donnent froid dans le dos et des fresques nuageuses sous un chapiteau d’opéra, nous l’oublions dès l’instant où se présentent les premières mises en bouche: une tranche de canard fumé, miniature, sur quelque feuillage rouge et vert; une tranche de poivron si petite qu’on la voit à peine, tout ça avalé d’une bouchée; et déjà ça commence sur une majuscule. On continue de deux façons. D’abord, si vous le permettez, le chef vous construit son menu au pif, comme ça, selon votre thème – le nôtre sera celui de la mer – et le nombre de plats que vous choisissez – pour nous, quatre seront suffisants. Ou vous consultez une carte qui change une fois par mois et qui s’inspire de tout ce que peut produire la Terre entière. Mais attention, il ne s’agit pas de vulgaire cuisine futuriste: Apollo plonge dans des racines profondes et authentiques.
Cette cuisine est réfléchie et audacieuse et le chef est sûr de lui. Des vertus qui, combinées, donneront un travail ciselé comme celui de l’horloger. En entrée, trois crevettes de la Méditerranée sont saupoudrées de sésame blanc et noir, puis sautées et servies avec une petite émulsion de noix de coco et de curry, si délicate qu’on a peine à y reconnaître la paternité thaïe, sinon celle des grands palaces. La pieuvre, ou mieux ses tentacules sont légèrement braisés avec une sauce parfumée au zeste d’orange, servis avec une tomate un peu confite et un peu rôtie, ainsi que deux poivrons minuscules aussi sucrés qu’un caramel: on reconnaît là un souci réel de l’assemblage complexe et quasiment démesuré, si ce n’était du goût parfaitement maîtrisé, des assaisonnements manipulés au millimètre près. Comme tous les poissons servis au restaurant (avec lesquels le chef semble avoir une affinité certaine) sont importés en exclusivité, vous serez sans doute surpris par la découverte d’espèces jusque-là inconnues. Pour nous, un "chirurgien", saupoudré d’une farine légère et poêlé avec maîtrise, encore croustillant dehors, fondant dedans, une goutte d’un jus de betteraves bien rouge pour l’accent et une platée de gnocchis miniatures sautés à la ciboulette. Sinon, le poisson perroquet, venu des Antilles en moins de 36 heures, aussi tendre qu’un amant de vacances, avec encore quelques nuances du bleu de sa peau, intacte, se présente sur des feuilles de choux de Bruxelles pochées et parfaitement assaisonnées et accompagné d’une tomate cerise au goût à la fois terreux et doux. En plat, le pigeonneau, importé de France le matin même, poêlé, après avoir été soigneusement disséqué et mariné au vin rouge et au cognac selon l’intitulé "Vatel", est disposé en éventail encore saignant sur un arrangement de petits légumes de début d’automne, tubercules magnifiques: betteraves jaunes, carottes rouges et blanches, pommes de terre rattes, une ou deux courgettes. L’idée de tremper chaque aiguillette dans une laque (faite d’une réduction de la marinade, allongée au fond de gibier et terminée au miel d’acacia) est manifestement inspirée de l’Asie, comme plusieurs plats de cette carte originale qui sont servis sur de jolies céramiques, principalement japonaises. Avant d’attaquer le dessert, on vous apporte une glace à la banane et au sucre de citronnelle, chaque élément se reconnaissant parfaitement et ne servant pas de paravent. Les trois raviolis au chocolat et à la ganache, servis avec une petite glace à la vanille de Tahiti, ou la tartelette à la crème de pistache sur un biscuit extraordinaire à l’amande, avec du pamplemousse rôti et confit, sont du grand art de pâtissier.
Le service parfaitement rythmé est d’une rare distinction, chaque plat est connu dans ses moindres détails par la brigade. La cave est belle avec d’excellents crus choisis avec célérité par deux sommeliers experts. Les prix sont en conséquence: 150 $ à deux, avec les taxes et le service mais avant le vin.
Bémol: Surcharge lourde du décor, amidonné. Des prix un peu surchauffés: une bouteille d’eau minérale à 9 $!
Dièse: Tout. De la cuisine spectaculaire au service, policé, professionnel jusqu’au bout des doigts, attentionné et courtois.
Tentation
7076, boulevard Saint-Laurent
274-3343