Restos / Bars

Chaumière Juchereau-Duchesnay : La force de l'âge

Tout au bout d’une longue allée bordée d’arbres se dresse, fière de ses 200 ans, cette ancienne dépendance du manoir Juchereau-Duchesnay. C’est aussi une auberge et une très bonne  table.

Certainement pas le genre de chaumière qu’on songerait à qualifier d’"humble". On nous reçoit avec une cordialité sincère et sans obséquiosité. Tous les clients semblent s’être donné le mot pour choisir la terrasse chauffée. Nous préférons la salle à manger, où nous serons seuls toute la soirée et d’où nous parviendront parfois des bruits de voix et des rires étouffés. Pétoncles frais (tartare et mousse d’avocat en charlotte d’esturgeon fumé, moutarde à l’aneth); cuisse de canard confite et glacée au vieux cheddar; foie gras (escalopes poêlées, poires et mangues caramélisées)… Ma compagne nous fait la lecture tandis que je rage contre les pages trop minces de mon carnet de notes. Au plafond, des poutres grossièrement équarries disent assez qu’elles ne sont pas nées de la dernière drave. Tout est ici de bois, hormis le foyer en pierres grises où s’exalte un grand feu. Tournedos de veau de Charlevoix, porc du Québec, poulet de grain… Sur le manteau de la cheminée se pressent des bouteilles de porto et une de vieil armagnac hors d’âge. "As-tu choisi?" Encore faudrait-il que je regarde moi-même la carte: deux pages détaillant la table d’hôte et présentées sur une planchette de bois. C’est fait. Mon choix, je veux dire. Pas une seconde d’hésitation. Ma compagne hésite un peu. La jeune serveuse qui s’occupe de nous l’aide à trancher entre le poulet de grain et le saumon de l’Atlantique rôti et, pour ce qui est du vin, finit par nous donner envie de goûter à un Chardonnay d’importation privée. Elle nous amène peu après de quoi tromper l’attente: du maquereau mariné décoré d’une feuille de sauge et flanqué de tomates cerises en moitiés jaunes et rouges. Le poisson s’avère délicieux, surtout que son acidité reste en deçà de ce que je redoutais. À la bonne heure!… Ah, parlant de bonheur: c’est la guitare de Claude Sirois qui nous avait accueillis et qui, maintenant, nous joue Il était une fois des gens heureux. Nous voici donc dans les meilleures dispositions pour attendre la suite. Le vin nous est servi et, deux gorgées plus tard, nos premiers vrais plats font leur entrée – ou plutôt les nôtres. D’abord, imaginez une "mousseline aux deux légumes", couleur saumon, d’un goût fin et d’une incroyable légèreté. On y cherche en vain une dominante, un petit excès quelconque. Niet. L’harmonie est absolue entre le flan (carottes et choux-fleurs), les herbes et la sauce veloutée qu’on a parfumée d’amaretto. "Fichue bonne idée d’être venus ici!" commente mon amie en levant une fois de plus son verre. Je m’intéresse alors à ma propre assiette. Si rien de particulier ne frappe en ce qui concerne le confit d’oignons, je suis par contre agréablement surpris par le chutney aux fruits qui accompagne aussi mon parfait de foie de volaille. Un petit goût de framboises ici et, là, rien de précis – de subtiles nuances qu’on croit d’abord piquantes et qui se révèlent plutôt douces ou teintées d’acidité. Le parfait lui-même mérite son nom: ni sec ni languide. Savoureux, avec ça, et moelleux. Nous ignorons encore que nous avons à peine amorcé un crescendo. Il culminera avec une tarte au sucre qu’on vous présentera comme "la meilleure en Amérique du Nord" – compliment très proche de la vérité. Ce dessert se fait escorter par des fruits (fraises, cerises de terre) et par un sorbet à la mangue qui fond doucement sur une tranche d’orange. Le pied! Par bonheur (encore!), nous y avions été préparés par nos plats principaux, ce fameux saumon de l’Atlantique rôti accompagné de divers légumes – haricots français, topinambours, fenouil nain – dont ma compagne avait chantonné les éloges sur l’air du Carnaval de Venise succédant à une pièce de blues. De mon côté, un silence éloquent avait salué, puis applaudi mon assiette de canard chapeautée de foie gras. Sous les aiguillettes de magret frais et fumé tombant comme les franges d’une jupe, champignons, fèves germées et tomates séchées attendaient, imprégnés d’une sauce plutôt douce, délicieuse bien qu’un peu trop claire. "Je n’en reviens pas", murmure mon amie, alors que nos dernières assiettes repartent en direction des cuisines. Cela signifie, en clair: "Nous reviendrons."

Chaumière Juchereau-Duchesnay
5050, route Fossambault
Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier (Québec)
Téléphone: (418) 875-2751
Table d’hôte: 29 à 42 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 105,26 $