Vous savez ce que c’est: un cinq à sept qui se prolonge – et qu’on n’ose pas quitter, parce qu’on y est bien. Une vague inquiétude vous effleure de temps à autre. C’est bientôt une angoisse qui vous tient lieu d’estomac: trouverons-nous de la place, à cette heure-ci, dans un restaurant quelconque? "Oh non! proteste mon amie. Surtout pas quelconque!" À quoi bon rectifier? Elle me fait souvent ce coup de la… métanalyse, comme disent les rhétoriciens. Nous ne sommes pas plus avancés, une heure plus tard, alors que nous maraudons en silence dans les rues du Vieux-Québec. Ici? Non. Là? Bof! Aux abords du Saint-Malo, nous avons un léger frémissement des narines, qui se produit de nouveau quand nous repassons devant ce resto. "Du cassoulet!" murmure ma compagne sur un ton faussement contrit, celui-là même qu’on prend pour avouer ce qu’on ne regrette pas. Malgré l’heure tardive, malgré la fraîcheur de la soirée, quelques clients s’attardent sur la terrasse. À l’intérieur, nous nous retrouvons dans une ambiance assez pittoresque, à mi-chemin entre un groupe d’anglophones – vantant les moules, les calmars et le carré d’agneau – et une tablée de touristes français discutant d’une éventuelle visite au village huron. La voix de Brel vous répand du Vésoul sur tout ça. Souriante quoique débordée, l’unique serveuse s’affaire de table en table et de salle en terrasse. Elle trouve tout de même le temps de s’arrêter pour répondre à nos questions: il ne reste plus de moules – ce sont les dernières que mange ce couple, là, au fond de la salle; plus de calmars – on leur a fait un sort sur la terrasse. La carte ne s’arrête pas là, heureusement. Nous pouvons toujours nous rabattre sur "Les sympas": boudin grillé aux pommes, confit de canard, steak frites (avec salade). Mon amie opte pour d’autres sujets de préoccupations qui ont pour nom osso buco milanaise, ravioli de canard au poivre vert, soupe de poissons, suprême de volaille au safran, filet de saumon aux poivrons confits, tartare de cheval et frites, lapin aux deux moutardes, bavette de cheval à l’échalote… Elle s’attarde à peine du côté des entrées – huîtres sur écaille, escargots, terrine, harengs marinés et poireau vinaigrette. Si j’ai choisi? Et comment! Avec un verre de rosé, à part ça. "C’est un peu tard pour un cassoulet, non?… Tant pis!… Ça me tente!" Tel est l’art de s’autoconvaincre en cinq secondes et de noyer d’avance tout remords dans un quart de litre de rouge! Nos assiettes nous arrivent copieuses et tout empanachées de vapeurs parfumées. Trop brûlants pour que nous y touchions tout de suite, nous les dévorons des yeux pendant quelques minutes, et nous croyons même les entendre grésiller tout doucement. Mon carré d’agneau détaillé en côtelettes entoure, à droite, des tranches de pommes de terre. À droite, des petites carottes entières font de même. Le fond de l’assiette est tapissé d’une sauce claire mêlée au jus plus sombre des côtelettes à peine rosées. Je me dis tout bas que c’est beau. Mais la viande ne livre pas comme cela tout son jus; elle en garde pour la bouche, pour vous en inonder la bouche quand vous y mordez – presque sans effort, tant elle se fait tendre sous la dent. Je me laisse conquérir même par les légumes, que je néglige habituellement. Les pommes de terre ont cuit dans de la graisse de canard. Les carottes aussi, peut-être? Elles sont aussi délicieuses les unes que les autres. Mon amie, quant à elle, a pris sa première bouchée. Ses yeux se sont embués – non pas d’émotion, mais parce que les haricots de son cassoulet feraient encore sauter un thermomètre. À la seconde, elle se fait plus prudente, souffle dessus, s’impatiente, avale une gorgée de rouge, souffle encore et… hop! "Ça goûte ce que ça sent!" Enhardie par ces préliminaires, elle atteint assez vite sa vitesse de croisière, alternant les bouchées – canard confit, haricots dodus (fondants et imprégnés de leur sauce crémeuse), puis un mélange de tout cela. Le cycle se répète jusqu’à plus faim, interrompu deux ou trois fois par ma propre fourchette qui passait comme ça, par hasard. Savoureuse popote, en vérité! Soudain, mon vis-à-vis repousse son assiette et se recule un peu pour dire: "Je suis toute soûlée de cassoulet…" Elle éclate de rire en ajoutant: "Toute cassoûlée!" Ce qui ne l’empêchera pas de tâter d’un gâteau au chocolat, fromage et citron que nous ne terminerons ni l’un ni l’autre.
Café Le Saint-Malo
75, rue Saint-Paul
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 692-2004
Menu du midi: de 8,95 $ à 15,75 $
Repas à partir de 13,95 $
Table d’hôte: de 19,50 $ à 25,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 68,61 $