Restos / Bars

La Petite Folie : L'audace à la bouche

À chacune de mes visites, il y a ici du nouveau. À la joie de vivre évidente du chef s’ajoute son horreur de la routine: ses créations se succèdent donc, audacieuses ou classiques, jamais banales et toujours de bon goût.

Du moins pendant les 30 premières minutes, je suis le seul client de la salle à manger. Les clientes, en majorité donc, occupent trois tables en bordure des baies vitrées donnant vue sur la terrasse déserte que se disputent le vent, le froid et la bruine. De nombreuses photographies en couleurs sont venues rejoindre, sur les murs, des tableaux encadrés sous verre et des affiches laminées. Des jardinières prolifiques ajoutent un peu de verdure aux tons chauds – jaune, ocre, orangé – du décor. Les haut-parleurs égayent l’ambiance à la mode latino-américaine. Ne serait-ce pas Selena qui nous gratifie de cette cumbia?… Mon amie et moi avons pris place à une petite table installée au bout du comptoir délimitant la cuisine ouverte où l’on voit s’affairer le chef et son adjoint. Les odeurs, le grésillement des cuissons et un peu (beaucoup) notre curiosité font que nous ne tenons pas en place bien longtemps. Nos verres de vin à la main (Liria et Trebbiano), nous nous hissons bientôt sur deux tabourets pour mieux voir… Des crevettes géantes paressent dans un grand bol, à côté d’un récipient plein de petites palourdes. Sur le gril, pas très loin, grésille et fume une pièce de viande, tandis que la serveuse prend livraison d’une grande assiette où, de loin, je n’aperçois que des frites et le profil luisant de ce qui doit être le jarret d’agneau du Québec. Je comprends plus que jamais ce qu’on entend par dévorer des yeux. Nous retournons rapidement à notre table, le temps de composer un menu hésitant entre les harengs marinés, les poivrons grillés à la tuile parmesane, l’omble chevalier au beurre nantais, le lapin, le bison… Les plats proposés à la carte ne nous facilitent pas les choses avec son petit ragoût d’escargots, sa poêlée de champignons sauvages de monsieur Henaff (mycologue breton vivant à Québec), son feuilleté de moules et petits légumes. Et nous revoici au comptoir. Nos questions fusent. De pleurotes en chanterelles, nous aboutissons à la variété de fruits de mer frais (bigorneaux, moules, crevettes, myes et pétoncles) qui donnent lieu ici à de nouvelles créations – dont un vol-au-vent géant (faut voir ça!). Nos entrées nous rappellent à notre table. Une soupe de poissons odorante m’accueille, brûlante, servie avec un petit pot de rouille et des tranches de pain grillé. Pas de fromage? On m’amène un peu de parmesan râpé et je me dis que ça ira. Elle s’avère délicieuse, cette soupe, bien qu’un peu plus acide que je ne m’y attendais. Les saveurs, ramassées, provoquent à chaque bouchée ce qu’on pourrait appeler une crispation des papilles – comme si elles avaient besoin d’un peu de recul pour se laisser aller. Chez certains humains, cela se traduit quelquefois par une fausse réserve du genre "qu’allez-vous penser de moi?"… Mon amie s’inquiète: "Manger te fait rigoler, ce soir?" Nous n’en savons encore rien, mais je chantonnerai bientôt et pour rigoler encore. Pour le moment, j’essaie d’hypnotiser la fourchette qui, de l’autre côté de la table, vient de se lester d’un beau morceau de… egg-roll (un vrai) aux escargots et chou chinois – une autre nouveauté de la maison. Fascinée, la fourchette hésite, se dandine, s’approche de moi et, ventriloque, me fait croire que ma compagne elle-même propose: "Veux-tu goûter?" Pour sûr! Bon à s’en mordre la langue, ce qui n’est pas peu dire dans mon cas: je ne mange plus de egg-rolls depuis belle lurette, depuis qu’ils ont si lamentablement sombré dans la banalité. Le temps pour moi d’envisager une seconde bouchée de reconnaissance, l’assiette de mon vis-à-vis est aussi vide que les discours électoraux des dernières semaines. Un autre bref séjour au comptoir pour apprendre qu’une longe de porc salée, puis dessalée, est en cours de séchage. Ainsi se prépare cette coppa maison, qu’on nous annonce pour bientôt. Comme les précédents, nos derniers plats nous accueillent avec chaleur. La lapin aux pruneaux servi à mon amie passerait pour un modèle du genre: la chair, cuite comme il se doit, se détache à la fourchette, imprégnée d’une sauce corsée et bien assaisonnée qui a pour mérite de n’être ni sirupeuse ni trop sucrée. Ne subsisteront sous peu qu’une rondelle de carotte et deux os presque polis. Entourée des petits légumes qui garnissent mon assiette, une hampe de bison marquée au gril se prélasse dans une sauce au madère – sauce brune et serrée qui, là encore, témoigne d’une grande maîtrise. La viande a la texture d’une bavette, en plus tendre. Elle est aussi plus savoureuse, sans trop de ce qu’on appelle le goût sauvage. Malgré une faim plus que satisfaite, je lui accorde tous les privilèges qu’elle m’inspire et, d’humeur fantasque, lui chantonne ce qu’elle m’inspire aussi: "En levant la hampe, la hampe!…"

Café La Petite Folie
1995, boulevard Jean-Talon Sud
Sainte-Foy (Québec)
Téléphone: (418) 681-8008
Menu du midi à partir de 10,25 $
Tables d’hôte pour deux: 40 ou 60 $ (avec ou sans vin)
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 65,13 $