Une fois qu’on a dormi dans des draps de soie, il est bien difficile de revenir au polyester. C’est un peu la même chose avec la cuisine chinoise. Il ne faut qu’une expérience remarquable pour se convaincre que cette cuisine reste parmi les meilleures. De plus, la cuisine chinoise, on le sait, ne souffre pas la médiocrité. Bien faite, elle rend câlin; mal faite, elle pousse au kamikaze.
Aucun risque dans les rues du Chinatown, où les restaurants de qualité ont survécu, et les autres, presque entièrement disparu. C’est le cas de ce Jardin du Nord, qui propose depuis plus d’une dizaine d’années une cuisine typée dont les spécialités sont surtout celles du Nord. L’influence mongole est manifeste: usage de vinaigre et d’huile de sésame, beaucoup d’ail et de pâte de haricots fermentés. La carte ne se limite pas entièrement aux plats de cuisine pékinoise mais offre aussi des spécialités relevées du Sichuan qui, curieusement, est une région de l’Ouest mais partage avec la cuisine du Nord une tendance aux aromates forts et aux condiments raides. Mais cela est déjà une autre histoire.
Le décor de ce restaurant tranche avec celui de ses voisins; l’intérieur est plutôt élégant, sobre, dans des couleurs de terre et de crème, et, chose étonnante, l’éclairage est feutré. C’est un bon signe; on nous épargne le côté kitsch et ultra-fardé si courant dans ce genre d’endroit. Mais la surprise vient en cuisine: une déflagration de parfums, de textures, parfois agglomérés, parfois bien nets, assez bien travaillés en général. Des dumplings fondants remplis de porc, assaisonnés de la sauce classique aux arachides, au soja foncé et au sésame, des rouleaux à la chinoise croustillants, sans une trace de gras et des croustilles aux crevettes et au sésame entier font office de mise en bouche. Ils disparaissent très vite. En plat, les crevettes et calmars au poivre et sel sont désormais des piliers des menus chinois, mais peu savent bien les faire frire sans laisser de gras – tout un art. Ils sont ici impeccables, l’idée de base étant de faire frire le sel et l’ail avant d’y mettre les fruits de mer. Un plat de boeuf doublement frit, saupoudré de fécule, croustillant et savoureux sur un lit de légumes sautés – très yang tout ça – nous précipite dans une énergie friponne. Même chose avec un plat de poulet dans une sauce un peu incendiaire, tout à fait succulente. Oubliez desserts et sucreries, ignorés des Chinois eux-mêmes, si on ne compte pas les inquiétants biscuits fourrés d’un message secret, une invention américaine. Comptez tout au plus 90 $ à quatre, pour un repas exquis, taxes et service compris.
Dièse: Cuisine fine et soignée, service un peu abrupt certes mais courtois et fait en français.
Bémol: Pour le néophyte qui ne saurait commander un repas chinois équilibré, le service ne semble pas vouloir l’aider.
Le Jardin du Nord
78, rue de La Gauchetière Ouest
395-8023
Maison Kam
Cette Maison Kam est un autre de ces restaurants dans le mode international. Les appliques de dragons en plastique sur les murs et les lumières de Noël installées un peu partout sont censées nous révéler quelque chose. Et ça marche: tous ceux que la cuisine chinoise rend nerveux sont rassurés. Cet endroit adopte le terne comme carte de visite. La cuisine me rappelle certaines expériences de ma jeunesse à une époque où cette gastronomie faisait office de fast-food pas cher et calorique. Voici les mêmes dumplings mous et fades, les mêmes rouleaux détrempés, les mêmes sauces épaisses et glutineuses, la même soupe aigre au tofu et aux champignons au parfum si agressif qu’un seul bol suffit à vous mettre dans un état de combat. Que les serveurs, secs et les mâchoires serrées, semblent prêts à considérer. Ils laissent tomber les ustensiles, ne répondent à aucune question sauf par un grognement, ni bonsoir ni bonjour, et vous traitent comme si vous arriviez à la morgue. On demande un plat de crevettes au poivre et au sel, on reçoit une assiette de trois pétoncles panés et graisseux, cuits dans un wok insuffisamment chauffé, quelques tentacules de calmars dégoulinants de gras sur un lit d’échalotes et de poivrons verts sautés. Le même traitement brouillon est infligé à du canard, nageant dans une sauce de fèves noires, parfaitement gluante, assez pour coller notre menu à la nappe en plastique. Le poisson en cocotte, une glorieuse invention des Cantonnais, est servi ici avec une telle quantité de poivrons verts qu’il devient difficile de localiser le poisson qui, une fois découvert, a acquis le goût du gaz Métropolitain. Nous nous contentons d’une bouchée tellement nous avons les nerfs à vif et nous laissons les serveurs – à ce point presque enragés – emballer malgré nous cette nourriture produite en portions énormes. Puis, nous l’oublions volontairement sur la table. Personne ne nous demande pourquoi nous ne mangeons rien, mais monsieur Ma lui-même, à la caisse, comptabilise une facture très raide de 64 $ pour deux avec taxes et service (ah! la tradition!) pour une cuisine assommante.
Maison Kam
6675, chemin de la Côte-des-Neiges
340-9328