Tête de Maghrébin
Le couscous est une nourriture idéale par temps froid. C’est aussi un univers en soi. On pourrait discourir longuement sur la finesse de la semoule, la densité du bouillon, ou débattre sur la présence ou non de raisins et de pruneaux, de pois chiches et de harissa. Le fait est qu’à l’instar de la pasta des Italiens, le couscous est une nourriture symbole qui s’autorise de nombreuses variations. Bref: il n’y a pas de couscous typique. Chez Dalila, un troquet installé depuis l’été dans l’Est de la ville, on le fait à la marocaine. Et qui dit Maroc, dit épices, beaucoup de parfums complexes, de tonus, de vigueur. J’ai déjà entendu dire que si la Tunisie était une femme, l’Algérie un homme, le Maroc devait être un lion. C’est un peu l’analogie qu’on doit faire avec la cuisine de ce pays en la comparant avec celles de ses voisins du Maghreb.
Quoi qu’on pense du lieu, décoré comme une boîte de nuit des années 60, la cuisine est celle d’une vraie maman marocaine, finement parfumée, préparée avec cette qualité si particulière des cuisiniers de là-bas: l’usage avec abandon d’épices et de condiments et une aptitude à mêler le sucré et le salé. Du reste, les Marocains ont la réputation (méritée si l’on en juge par le thé à la menthe, toujours trop sucré pour nos palais délicats) d’être les plus gros mangeurs de sucre au monde.
Si le menu se limite à une dizaine de plats et quelques sandwichs de type libanais, c’est pour l’excellent couscous au poulet ou à la viande et pour le tajine de poulet parfumé au safran – dans une sauce sirupeuse aux citrons confits, embaumée de parfums, sensuelle – que l’on devrait faire le voyage. La soupe baptisée harira est un classique du ramadan (qui arrive à grands pas) et celle que propose Dalila est authentique, avec un bouillon de poulet, des pois chiches, saturée de cumin, de coriandre fraîche. En dessert, les rghaifs sont des galettes un peu feuilletées que l’on fait dorer à la poêle et que l’on nappe de miel. Un délice.
Pour une trentaine de dollars à deux, tout compris, voilà une aubaine.
Bémol: Un tajine vraiment merveilleux, mais un poulet encore froid à l’intérieur. Mystère de la technologie moderne, un peu mal maîtrisée.
Dièse: Un patron sympa et enthousiaste qui aime son pays et tient à le montrer sous son meilleur jour.
Dalila
4050, rue Jean-Talon Est
723-6955
Café Doruk
On se demande bien ce qui a poussé un Turc à venir s’installer dans le quartier le plus grec de la ville. Le local attenant à une église orthodoxe en plus! On ne vient pourtant pas pour la prière ni pour la télé (il y en a trois qui diffusent à une clientèle surtout masculine des soaps turcs et des jeux télévisés) mais pour la cuisine, simple et généreuse, et facturée à des prix défiant toute compétition. Ou presque.
Tout en haut d’un escalier qui n’annonce rien de trop bon, et certainement rien de bien beau si l’on en juge par les couleurs et par le côté plutôt glauque de l’endroit, le Café Doruk a commencé par servir d’ambassade à la communauté ottomane à moustache locale, qui s’y retrouve pour suivre le foot (la Coupe du monde, c’était hier) ou les nouvelles. Le décor – si l’on peut franchement parler de décor – n’est ni réjouissant ni rassurant mais ce n’est qu’accessoire. Ce qui compte ici, c’est la bonne cuisine que le patron mitonne. Il propose en tout neuf plats, dont trois sandwichs aux noms impossibles: çav, mesurbat, kus paça. La cuisine turque a ses lettres de noblesse et divulgue par sa complexité un passé prodigieux qu’on ne soupçonne pas quand on regarde les boulettes d’agneau haché dans les yeux. Elles sont cinq, grillées à point, épicées au cumin et à la coriandre et servies sur un lit de riz pilaf malaxé aux lentilles et aux raisins secs, fortement relevé. On vous sert aussi une salade verte, déjà nappée d’une émulsion plutôt sympathique; oh! rien qui vous fera découvrir de nouveaux horizons, juste des produits naturels comme de l’huile d’olive – moyen-orientale sans doute, si l’on en juge par son goût beurré typique – et du jus de citron. Mais cela suffit. On a aussi choisi un ragoût de boeuf et de tomates, rustique, modeste, précédé d’une soupe de lentilles jaunes parfumée aux épices, qui débordait de saveurs. Le prix? 30 $ à deux, tout compris, avec deux verres d’arak.
Café Doruk
630, rue Jean-Talon Ouest
273-6947