Laval, pays de centres commerciaux qui s’étendent à perte de vue le long d’autoroutes et dont la seule parenté serait le boulevard Taschereau. Le cauchemar air conditionné, dirait Henry Miller. Laval qui fut autrefois le jardin de Montréal, une île consacrée à la culture du légume, convertie aujourd’hui à celle du condo. C’est la banlieue qui sommeille. Paradoxe, c’est aussi la seconde ville du Québec et dans cette cité du démesuré, on compte les bons restos sur les doigts de la main.
Malgré cela, les maisons sérieuses ont perduré. Et curieusement, elles ont plusieurs choses en commun: elles sont mal connues des Montréalais et sont toutes éloignées des autoroutes. Rien qu’à Sainte-Rose, l’un des derniers "vrais" villages de Laval, on en compte au moins quatre. C’est que Sainte-Rose, grâce à ses vieilles maisons quasiment intactes, a gardé un peu de son caractère suranné.
Que les patrons aient choisi ce village pour installer leur restaurant, qu’ils l’aient même baptisé Derrière les fagots, n’a rien de surprenant. La maison qu’ils ont choisie, rénovée avec goût et décorée sobrement est centenaire.
En tout cas, ce n’est pas la cuisine de Danny Saint-Pierre qui viendra éveiller en vous des souvenirs d’un Québec moribond. Sa cuisine est tout à fait de son temps, nette et jouissive. S’il est passé dans l’orbite du Toqué!, c’est celle d’un deux étoilé bourguignon, Jean-Pierre Senelet, qui lui a inspiré l’orientation un peu rustique de la carte. Son but n’est pas d’impressionner la galerie par des mondanités mais de séduire avec des accents forts et des touches fines. Dans son cas, ce n’est pas une contradiction. Malgré son jeune âge et un sentiment qu’on n’a pas encore tout vu, qui se traduit par une sorte de lucide prudence et une touche de frivolité dans certaines associations, on distingue la fougue dans des plats qui donnent de réelles émotions.
Ainsi, en "teaser", une tranche de chèvre coiffée d’un peu de zeste de citron blanchi fait une saisissante entrée en matière. Puis, comme pour s’excuser de cette première violence, arrive un velouté de carottes tout simple, dans lequel on découvre une cuillère de crème fraîche engloutie. Une mijotée d’escargots et de courge de saison, poêlés, avec un merveilleux ravioli farci de crème fraîche et parsemé de quelques copeaux de parmigiano-reggiano parlent le langage limpide de la campagne, les textures qui raclent, les saveurs qui s’entrechoquent. Que c’est bon!
Si le foie gras au torchon fait sur place et saupoudré de fleur de sel ne déconcerte pas, on le sert en revanche avec un caramel épicé au poivre, sur une brioche elle aussi bien relevée. On l’accompagne spontanément d’un verre de moelleux, ce qui ne lui fait que du bien.
En plat, le jarret d’agneau est servi avec des bulbes d’automne, du fenouil, des oignons braisés et une carotte douce dans un jus d’une rare complexité de parfums, suave et vineux, aux accents méditerranéens. Deux tranches de veau, impeccablement saisies à la poêle et présentées avec des haricots verts fins, deux carottes et une poêlée de haricots cannellini et de chanterelles tout frais sautés, sur une sauce aux saveurs drues, évoquent la Bourgogne et ses liaisons au vin et à la moelle. Bien que les haricots soient un tantinet sous-cuits, on aime quand rayonne la franchise rustique dans ce genre d’associations.
Aux douceurs, le chef ose un peu plus; il propose une tarte aux pommes fines, sur laquelle on fait fondre un gros morceau d’un chèvre local très odorant. Mais le mariage clopine, malgré de gros sabots. L’acidulé de la pomme, le gras du fromage, la pâte délicate, tout cela étonne. Le gâteau aux carottes légèrement brioché, servi avec un effiloché de carottes confites, des pistaches sautées au beurre et des raisins gonflés dans le vin devient une idée originale quand on l’accompagne d’une petite glace au yaourt.
La carte change fréquemment et le chef semble véritablement s’orienter saison. Avec une équipe exemplaire, un service aux petits soins, connaisseur et raffiné, et une jolie cave proposée à prix sensés, on a là une maison qui fait déjà de grandes promesses. En tout cas, elle n’attend que vous car à ce prix (tables d’hôte de 29 $ à 48 $ pour cinq services), vous trouverez difficilement mieux en ville. Comptez donc 90 $ à deux, taxes et service avant le vin.
Dièse: Une cuisine impeccable et absolument succulente. Tous les détails semblent avoir été étudiés, jusqu’aux verres Riddel, l’éclairage et l’espace entre les tables.
Bémol: Bon! disons-le, la distance. Mais ce n’est quand même pas leur faute. En prenant la 15, on y est en 15 minutes justement.
Derrière les fagots
166, boulevard Sainte-Rose
Sainte-Rose (Laval)
(450) 622-2522