Restos / Bars

Le Café de la Terrasse : Le señor des agneaux

Deux ou trois fois l’an, ce café-bistro propose des soirées thématiques mariant exotisme et gastronomie. La Catalogne était à l’honneur jusqu’au 2 novembre…

Pour tout ce qui est latin, j’ai un faible… assez fort. Je me convaincs donc sans mal d’aller tâter un peu de la cuisine que concocte ces jours-ci, au Château Frontenac, l’invité du chef Jean Soulard: el señor David Romero, chef des cuisines du Barceló Hotel Sants (Barcelone). C’est le soir de l’Halloween, et tout nous le rappelle: cet imposant Dracula qu’on aperçoit au haut des marches conduisant à la salle de bal, d’où s’échappe en lambeaux stridents une musique démoniaque, plus la multitude de touristes et de congressistes, surtout anglophones, que l’on croise dans les couloirs, dans la salle à manger, aux abords du buffet, diversement accoutrés pour rire ou pour faire peur. Dès l’accueil, on nous convie à la dégustation des vins Torres, dont un Viña Sol 2000 (100 % Parellada), fruité, frais et léger, et un Coronas (Tempranillo et Cabernet Sauvignon). Quelques minutes plus tard, à table, mon amie se fera servir un verre de ce Viña Sol et, plus tard encore, un verre d’Atrium (100 % Merlot). Elle aura aussi droit à quelques lampées du prestigieux Mas la Plana (Cabernet Sauvignon) que notre serveur, encouragé par sa bonne humeur, lui proposera, comme ça, en passant. Moi, je ne jure ce soir que par le Gran Viña Sol (Chardonnay et Parellada) aux arômes de fruits doux, riche et peu boisé. Avec ça? Nous mangeons, bien sûr. La table d’hôte nous propose d’abord un gazpacho de homard à la gelée de Moscatel (muscatel, muscat). Premier réflexe verbal: "J’aime pas les potages froids!" Surtout que certains vous servent le gazpacho très glacé, avec même, parfois, des glaçons dedans. J’y goûterai, me dis-je, par acquit de conscience. La surprise est de taille: outre qu’il est à peine frais, il exhale un parfum vrai de marée qui sied à sa couleur… homard. De grands yeux d’huile d’olive brillent autour d’un petit aspic de petits légumes sur lequel s’appuie un croûton aussi mince qu’un chip et ajouré comme une dentelle. Déjà conquis par la présentation, nous le sommes davantage encore par la subtilité des saveurs qui, en bouche, se marient, se dissocient, se relaient à n’en plus finir. "Quand je pense que tu songeais à t’en passer!" s’esclaffe ma compagne. Là-dessus, je m’octroie deux bonnes bouchées, les dernières, ferventes comme un mea culpa. On nous amène ensuite la salade de morue pochée avec huile d’olive et romesco léger. Le romesco est un plat de fruits de mer typique de la province de Tarragone; il se trouve que ce mot désigne aussi une sauce accompagnant les poissons, mais qui, en principe, ne comporte aucun ingrédient marin. C’est une très large coulée de cette dernière qui décore nos assiettes et, à en juger par le goût, le chef nous a concocté un intermédiaire entre les deux romescos, suave et parfumé. L’essentiel se trouve au centre de l’assiette: de la morue dessalée, à peine effeuillée, décorée de tapenade et posée sur un lit de pommes de terre moelleuses et de rondelles d’olives. À côté, une petite salade pas du tout vinaigrée, huilée juste ce qu’il faut, et une tranche de poivron pelé, épépiné et grillé. Mon appétit flanche déjà, tandis que ma gourmandise exulte à coups de ¡Olé! Et voici que se présente, dans une apparente humilité, le gigot d’agneau de lait accompagné d’un trinxat. Ce dernier mot s’applique, en catalan, à quelque chose qu’on a haché grossièrement, mais il désigne plus spécifiquement un mets dit "montagnard", à base de choux et de pommes de terre. On dirait une purée plutôt ferme, dorée à la poêle. À mi-chemin entre le rustique et le raffiné, il vaut bien plus qu’un faire-valoir, ce dont mon amie tente de me persuader, moi qui n’en doute d’ailleurs pas. Je le néglige un peu, je l’avoue. Le gigot en est le seul responsable: d’où vient-il, si tendre et si goûteux? Souvent, l’agneau dit "du Québec" me semble trop… sage, trop politically correct en termes de goût. Alors que, là, on découvre des saveurs plus soutenues, plus viandeuses, et une texture plus ferme. "Il vient de Charlevoix, monsieur", nous dit le serveur qui a pris la peine d’aller se renseigner. Je retiens le tuyau. Mon assiette repoussée, je jure que je ne mange plus. Nous terminons sans hâte nos verres de vin. Jusqu’au moment où mon amie s’exclame: "Démentiel!" Bon, je veux bien prendre une minuscule bouchée de son "croustillant tiède de chocolat aux fruits secs et fruits de la passion". Et une deuxième, parce que ma fourchette insiste. Et une troisième, parce qu’un proverbe m’y encourage. Et une autre… pour me persuader que je n’en veux plus.

Le Café de la Terrasse
Fairmont Le Château Frontenac
1, rue des Carrières
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 266-3966
Menu dégustation (sans vin): 49 $
Avec les vins d’accompagnement: 99 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 148,38 $