La cuisine italienne a gagné en maturité en Amérique du Nord ce qu’elle a perdu en quétainerie. Il faut être sacrément résolu (ou dépassé) pour proposer encore et toujours de cette cuisine lourde et frustre qui a déjà fait les beaux jours de certains restaurants. La plupart ayant déjà fermé leurs portes.
Sans renier son passé, la cuisine italienne moderne a pourtant su s’adapter aux diverses mutations techniques et a su intégrer les spécialités de ses provinces dans une sorte d’abrégé national. Toutefois, les authentiques et les exceptionnels restos italiens ne sont pas la norme à Montréal, ils sont l’exception. Les Il Mulino, Lucca, Pronto, Latini, des lieux remarquables qui devraient servir de phare aux novices.
C’est ce qui aurait dû inspirer le Fellini, nouvellement installé dans un sous-sol de la rue Saint-Denis, joliment décoré, cosy et assez confortable, mais qui néglige le prétexte essentiel de la bonne restauration: la cuisine. Car on matérialise ici un monde de recettes vieillissantes. Ou pire, celui des recettes fatiguées, apprêtées à toutes les sauces. Le chef est génois pur laine, c’est vrai. Mais sur la carte, rien qui ne soit de sa patrie; pas d’olives frites, pas d’artichauts, pas de rapini, pas de légumes de saison, aucune trace des herbes qui ont fait la réputation de cette région, sinon dans un plat de pesto. Il y a dans ce restaurant une impression mollement brouillonne dans la mise en place et certainement dans la présentation de portions cyclopéennes. Parfait pour des touristes américains qui ont de gros appétit, mais un peu obscène pour une clientèle qui s’attend à davantage de qualité que de quantité. En fait, on dirait de la cuisine des années 40. Équation toute simple que d’aucuns devraient retenir, surtout que la cuisine italienne se fait particulièrement valoir par la qualité de ses produits, par la fraîcheur et la spontanéité de sa cuisine.
À sa carte, le Fellini ne propose que des carbonara, putanesca, tiramisu, 100 fois vus et revus. Un restaurateur se fait connaître par sa rigueur, son aplomb ou son sens aigu du détail. Aucune trace de ça chez Felllini. Des plats fades qui manquent d’attention dans le détail. Deux soupes: un brodo aux tortellini est fait d’un bouillon commercial sans intérêt aucun, et la straciatella, dont les oeufs bien liés masquent le parfum un peu métallique du fond. En plat, une lasagne si énorme qu’elle frise le ridicule et nous coupe instantanément l’appétit, réalisée sans béchamel mais beaucoup trop salée, et des spaghettis aux tomates (en boîte) dont la sauce est acide et sans parfum. Alors qu’une vraie marinara est une oeuvre d’art dans laquelle les tomates sont à peine saisies, jamais complètement liquéfiées, celle-ci est une version anémique et aqueuse. Le dessert, un tiramisu correct, sort du frigo où il a certainement séjourné pendant quelques jours. Il en garde les relents.
À la carte des vins, beaucoup de choix mais à des prix, oulah! presque trois fois ceux de la SAQ. Ambitieux, les patrons! Voilà un nouveau resto qui devrait s’interroger et repenser sa formule, pendant qu’il est encore temps. Comptez 55 $ pour deux repas avec les taxes et le service avant le vin.
Bémol: Cuisine essoufflée (déjà?). Service trop familier, genre tape dans le dos. Le côté tape-à-l’oeil, imitation pseudo-branchouille du boulevard Saint-Laurent, avec chanteur mexicain "live" sur une sono à fond la caisse pour attirer une clientèle qu’on croit semblablement intéressée… par elle-même. Mais la faune de la rue Saint-Denis est plus bohème, moins étudiée.
Dièse: Le décor.
Fellini
4115A, rue Saint-Denis
842-4472
Amuse-gueule:
Ah! les Italiens, toujours pleins de surprises, eux. Entre une équipe de foot habillée par Armani ou Prada et un premier ministre à la Karl-Pierre Péladeau, les Italiens ne font pas les choses comme les autres Européens, surtout en politique et en cuisine. La preuve: on vient de créer un projet de certification des restaurants italiens à travers le monde. Une sorte de dénomination d’origine contrôlée de l’authenticité. Le but de l’opération est simple: s’assurer, en l’accordant à un établissement de qualité "partout dans le monde", qu’il respecte les règles de base de la tradition oenogastronomique italienne. Cela pourrait avoir un effet majeur: faire savoir au monde que tout resto qui se dit "italien" doit faire davantage que mettre de la sauce tomate sur des spaghettis et s’assurer de diffuser les véritables règles de l’art pour obtenir le certificat. Parions en tout cas qu’un certain nombre de restos d’ici auraient de la difficulté à le décrocher.