Dans la marge du Mile-End, ce quartier autrefois à prédominance grecque devenu le creuset de toutes les ethnicités fondues – sinon confondues -, on trouve Tabaq, un restaurant pakistanais qui propose des spécialités de chez lui et de son grand voisin indien. Avec cette différence qu’on s’annonce ici comme cuisine halal, c’est-à-dire rituellement "ratifiée": les animaux ont été rituellement abattus en prononçant le nom de "Dieu" et l’on n’y sert aucun alcool.
Tabaq n’attire pas les branchés fervents de cuisine italo-californienne, mais une clientèle de familles indo-musulmanes avec ce que l’on peut imaginer comme ambiance. Le décor est fait pour eux, une alliance de kitsch et d’authentique, de miroirs, de néons lumineux, dans une grande salle au décor vaguement "bollywoodien" avec une odeur d’épices persistante dans l’air. Mais ne vous y trompez pas, il attire surtout les amateurs d’une cuisine robuste, relevée et absolument savoureuse, trop souvent malmenée par une standardisation galopante. Dénaturée, comme celle que l’on sert dans ces nouveaux buffets, elle ne présente plus beaucoup d’intérêt.
La carte propose les habituels poulets au beurre, tandouri, tikka et autres kebabs, des spécialités du Pendjab, une province que les deux pays ont maintenant en commun. Bien qu’ils soient bien mitonnés, ce n’est pourtant pas pour ces délices exotiques que l’on devrait s’installer ici mais surtout pour les plats inhabituels, moins connus et spécifiques au Pakistan: des plats sautés au karai, la cassolette en métal qui ressemble à un wok miniature, des grillades, des plats étranges faits de légumes inconnus ici jusqu’alors. Le nali nihari par exemple est une sorte de braisé de veau dans une riche sauce épicée – beaucoup d’épices, traduisez: beaucoup de gingembre et beaucoup d’ail. Du reste, cela évoque un peu nos plats mijotés d’automne avec cette différence que les coupes sont moins nobles. Encore un peu filandreuse, la viande est cependant fondante et le piment reste discret, à peine un mordant délicieux. Le haleem est le plat national pakistanais: un hachis de viande et de lentilles cuit longuement avec un assortiment d’épices, que l’on mange avec du pain – les nans et "rôtis" sont succulents. Le poulet au gingembre est sauté avec une montagne d’oignons et lentement braisé avec des poivrons. Le kareley est une curiosité, un légume d’une formidable amertume qui ressemble à un concombre tout ridé, qu’on fait sauter avec du curry. Un choc. Rien de délicat dans cette cuisine, rien que des coups de fouet. On dirait presque une cuisine pour masos, tellement les goûts sont francs et parfois un peu violents. Au bout d’un moment, on se sent comme Superman, cette bidoche (il n’y a pas de végétariens au Pakistan, soyez-en assuré), ces épices et ces huiles parfumées vous remplissant d’une énergie tonifiante. En tout cas, cela vous coupe la faim aussitôt. S’il vous reste un peu de place, essayez tout de même le kheer, un dessert à base de semoule parfumée à l’eau d’iris. Pas cher du tout, comptez au plus 30 $ à deux, tout compris.
Tabaq
469, avenue Ogilvy
276-6996
SUR LES RAYONS
Souvent la cuisine indienne est aussi banale dans les restos que dans les livres, qui se ressemblent tous. Une fois que vous en avez un, vous les avez tous. Les mêmes recettes, les mêmes idées, souvent mal expliquées, qui seront forcément mal interprétées. Nous attendions un bon livre de cuisine indienne depuis un moment. Un ouvrage qui ne tomberait pas dans le cliché éculé. C’est ce qu’a essayé de produire Meena Pathak avec son Flavours of India, un livre qui vient d’être publié en anglais par la maison Whitecap de Vancouver (20 $). Pourquoi est-il différent? Peut-être parce qu’il est publié à titre d’auteur, madame Pathak en ayant les moyens: elle et son mari sont propriétaires de la compagnie qui porte leur nom et qui produit et exporte ces currys, chutneys et pickles en pot que l’on aperçoit dans toutes les épiceries de la terre. En tout cas, l’ouvrage compte une centaine de recettes expliquées avec clarté et précision. De plus, ce livre à la couverture souple est très beau et s’offre bien en cadeau – malgré la présence du logo de la compagnie à l’endos.
AMUSE-GUEULE
De la très grande visite. Imaginez aller manger dans un trois étoiles Michelin, pour une fraction du prix. C’est ce qui vous attend si vous réservez au restaurant Anise (104, avenue Laurier Ouest) pour les soirées du 3 au 5 décembre prochain. Les chefs jumeaux Jacques et Laurent Pourcel du restaurant Le Jardin des sens de Montpellier viendront y cuisiner le repas du premier anniversaire du restaurant. Quelques mots pour décrire cette cuisine prodigieuse que j’ai eu le privilège de goûter ici et là-bas à quelques reprises: c’est une cuisine jeune, proche de la nature, exquise en tout point tant par des associations étonnantes et savantes que par un contrepoint tout à fait singulier. Réservations: 276-6999.