On en a beaucoup parlé. La famille Germain a des hôtels à Québec, à Montréal et ailleurs au Canada. Nous pourrions qualifier ces gens d’artisans hôteliers tant leurs établissements sont loin des grandes chaînes à l’américaine. Ici, le souci du détail prévaut, dans l’accueil et dans le décor. Dans cet espace restreint à la silhouette bétonnée, on contemple un luxe moderne à échelle humaine: un cabinet de réception lilliputien, un lobby semblable avec des fauteuils invitants autour d’une imposante cheminée, une chute d’eau qui marque le passage vers des lieux privés, tout cela fait très Wallpaper. On est presque surpris d’y trouver une salle à manger à l’étage.
Ce resto, Prélude, est maintenant bien rodé et s’il semble surtout sustenter la clientèle de l’auberge qui, franchement, a tout intérêt à rester sur place tant c’est soigné et harmonieux, rien n’empêche les personnes qui n’y logent pas d’y passer au lunch ou en soirée. Dans ce très beau décor tout de bois et de verre, les vues sur la rue sont inhabituelles et donnent au spectateur l’impression d’être suspendu au-dessus de la ville. Grâce à une ingénieuse disposition de la mezzanine reliée à la cuisine par une passerelle, on ne voit ni l’entrée ni la réception, pourtant juste en bas. Des fauteuils en rotin (un peu bas tout de même), un éclairage sophistiqué et un aménagement vaguement Le Corbusier procurent à l’endroit un air à la fois jeune et raffiné. Ni excessif ni boiteux.
Le chef et le sous-chef sont le pivot de cette table et sont allés à la bonne école, celle des grands. Ils proposent une carte assez brève dont les plats ne cherchent pas la révolution mais ne s’empêchent pas non plus quelques millimètres de fantaisie. En ce sens, ils font une cuisine sage. Sage et rassurante qui nous change de ces délires qui ressemblent de moins en moins à de la cuisine et de plus en plus à des feux de paille.
Les entrées arrivent vite, un brik de crabe blanc – plutôt une manière de rouleau printanier – dans une pâte craquante que la vélocité du service n’a pas fait trembler. On le présente sur une grande assiette blanche, accompagné d’une petite salade de haricots, les uns germés et les autres, ces long rubans verts appelés "kilomètres", et de chair d’orange, qui sert aussi de fondation à une émulsion au goût un peu thaï. C’est tout à fait délicieux, un peu aigrelet et parfait pour une entrée en matière. Pour le contraste, un modeste gratin de fromage de chèvre se présente avec quelques rondelles de betteraves, et un petit croûton nappé d’anchoïade et servi avec une sauce au goût de tomates rôties.
Après l’acide et le gras, le salé et le doux. Une gigue (c’est le cuissot du gibier) de cerf de Boileau, poêlée, encore sanguinolente et merveilleuse dans un appareil si simple, repose sur un peu de purée de céleri-rave (et c’est exquis), accompagnée de champignons sauvages sautés au beurre. Si les portions n’étaient pas si copieuses, on en reprendrait. La cuisse de lapin est farcie de chou et de lardons; elle est garnie d’un monticule de carottes recouvert d’un peu de cheddar de la maison Perron. Bon! D’accord, on appelle ça une poutine de carottes, mais franchement, rien à voir sinon un clin d’oeil. Je vois d’ici les puristes se crisper.
Les desserts sont idéals pour amorcer un moment d’intimité. On ne résiste pas à les partager: une ganache chocolatée, onctueuse et faite d’un produit de grande qualité ou une variation sur le pain perdu (c’est à la mode, voyons!) avec force caramel qui appelle vite une infusion. Émouvant!
Dans cette maison bien de notre temps, la cuisine est nette comme un couteau affûté, l’accueil sans faille, en dépit de quelques petits pépins côté service. Et la carte des vins va à l’essentiel avec des crus de partout, certains au verre. Comptez donc autour de 100 $ pour deux personnes avec les taxes et le service, avant le vin.
Dièse: Les fleurs d’abord: une cuisine rafraîchissante et toute neuve, sans renier ce qui est venu avant mais sans non plus le copier aveuglément. Le sentiment que la maison s’occupe de ses affaires, menées rondement et avec rigueur.
Bémol: Le service. De jour, discret et compétent. De soir, un tantinet laconique, pour ne pas dire space, qui ne connaît pas la nature des plats et ne semble pas s’en soucier, comme si ça ne faisait pas partie des tâches. Or, le service, c’est la fenêtre qui donne sur le coeur de la maison.
Prélude (Hôtel Germain)
2050, rue Mansfield
282-1298