Le temps de franchir les quelques mètres séparant notre véhicule de l’entrée, nous voilà congelés. Autour, le décor lui-même semble figé – impression si forte que nous croyons le restaurant vide et nous demandons déjà sur quel autre porter notre choix. À l’intérieur, nos craintes s’évanouissent instantanément: la salle est pleine. On nous accueille, on nous place avec cette gentillesse calme qui nous surprend chaque fois. Apparemment, quelle que soit l’occasion ou l’affluence, le stress n’a pas ici droit de cité. Au fond, une grande porte vitrée isole la première salle à manger, où nous sommes, de la seconde qui évoque davantage une brasserie. Sur la gauche, au-dessus d’un piano chargé de bouteilles, un grand miroir reflète les feux dansants d’un chandelier illuminé. Les petites flammes dansent, en effet, à chaque passage des plats commandés ici ou là. "Beaucoup d’amateurs de pizzas, ce soir!" C’est sans doute, pour mon invitée, une façon comme une autre de se mettre en appétit. Zyeuter, humer, murmurer les noms de quelques mets… Je n’ai pas encore ouvert la carte, mais je sais qu’on y trouve 15 pizzas européennes, un petit choix d’américaines, des salades (de canard confit, entre autres), des moules (la "deux moutardes" nous est familière), des fougasses, des pâtes et des grillades – dont la bavette de veau à l’échalote que je connais. Du côté de la table d’hôte, l’offre n’est pas moins alléchante: huîtres frites et mayo à l’ail, fondant de camembert, potages, moules au miel et moutarde, pavé de saumon et mousse de pétoncles en sauce homardine, trio de pâtes… Pour un peu, je commanderais comme d’habitude le tartare de saumon; j’opte de préférence pour le carpaccio, de saumon lui aussi. Pour la suite, j’hésite encore un peu avant de jeter mon dévolu sur un mignon de veau. Mon invitée sirote tranquillement sa Beck’s, le regard sollicité de loin par l’un des deux grands écrans prévus pour pallier les creux de la conversation. Au-dessus de nous, sur fond de voix multiples, les haut-parleurs débitent du Freddy Mercury. Un peu plus tard, nous aurons droit au Hey Joe de Jimi Hendrix. Mon vis-à-vis termine sa bière au moment où s’amènent nos verres de vin, Fontana di Papa et Masi Campofiorin. Puis on m’apporte l’entrée, simplement présentée: les tranches de saumon, d’une minceur extrême et mouillées de vinaigre balsamique, se déploient sous un petit pompon de crème sure qui goûte bon l’estragon frais. Des brins de luzerne s’y mêlent et se mêlent donc aussi à chacune des bouchées – que je réduis à la taille minimale pour faire durer ce plaisir moelleux. Hockey, course automobile et volley-ball composent le menu des nouvelles qui se succèdent maintenant sur les écrans. Nos plats de résistance nous ramènent à des réalités plus concrètes. Rien qu’à voir son "assiette Corleone", je comprends que mon invitée n’ait pris que cela: penne au gorgonzola et fettucine au cognac escortent une sympathique escalope de veau nappée de sauce aux champignons, sympathique autant par l’aspect que par la texture et la saveur. Il en est de même des pâtes, cuites à point, dont les goûts nettement marqués contrastent et se marient tout de même harmonieusement. Pour ma part, je n’ai d’yeux que pour mon mignon de veau en croûte. On dirait une pomme de terre géante. Des petits légumes l’accompagnent. La sauce est au porto; corsée, mais ni sucrée ni sirupeuse. Sous la mince croûte de pâte enrobant le mignon de veau, on découvre une couche de fromage de chèvre. Au moment où tous ces éléments se mélangent dans la bouche, les lèvres s’étirent malgré soi pour sourire. J’apprécie d’ailleurs au plus au point l’utilisation modérée du fromage de chèvre: certains ont la fâcheuse manie d’en mettre tellement dans leurs préparations que chaque bouchée en devient pâteuse et occulte toutes les autres sensations. La viande a la tendreté qu’on attend d’un filet et ne se prive pas de juter tout son suc à moindre pression des dents. C’est avec un infini regret que j’en laisse une partie; je n’en peux vraiment plus. Mon invitée s’est fait un devoir de vider son assiette et m’avoue avoir atteint la saturation. Elle tique un peu à l’énumération des desserts. Derrière son froncement de sourcils, je devine une violente empoignade entre le pour et le contre. Ce dernier ne l’emporte que de justesse.
Gab’s resto-bistro
1670, rue Jules-Verne
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 877-6565
Menu du jour: 8 à 11,25 $
Table d’hôte: 13,75 à 22,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 62,98 $