Restos / Bars

California Dream : Noces d'argent

Les jours où l’on mangeait simplement pour assouvir son appétit sont loin derrière. La cuisine est à la mode. Et les chefs, les restos, les revues, les stations de télé ne sont pas sur le point de nous le faire oublier ne serait-ce qu’un instant. Notre cuisine nous définit, entretenant notre image d’abord puis notre faim ensuite.

Les jours où l’on mangeait simplement pour assouvir son appétit sont loin derrière. La cuisine est à la mode. Et les chefs, les restos, les revues, les stations de télé ne sont pas sur le point de nous le faire oublier ne serait-ce qu’un instant. Notre cuisine nous définit, entretenant notre image d’abord puis notre faim ensuite. On comprend que la mode culinaire contemporaine se régénère continuellement en un processus qui inspire, qui touche l’esprit avec des concepts de beauté et de verve, et qui satisfait les besoins humains fondamentaux de changement. La tendance du moment: le rétro. C’est ainsi. On va rapidement vers l’avant, puis en chemin, on se dit que ça va trop vite, alors on revient un peu en arrière.

La plus grande expérience en ce domaine – entendez celle où l’on a poussé le plus loin la notion moderne d’hybride – a été réalisée en Californie. Pas toujours avec beaucoup de finesse, ni de discernement. Mais on a osé. On a décrété que la cuisine devait changer. L’expérience a été tentée en premier lieu par Alice Waters (fraîchement revenue de France) dans les années 70 à son restaurant Chez Panisse de Berkeley, près de San Francisco. Tous les chefs qui ont signé ce que l’on appelle la cuisine californienne sont issus de cette école-là. Les règles de base: spontanéité, fraîcheur, rapidité et audace.

Et avec la cuisine comme avec d’autres choses tout aussi capricieuses, le bon Dieu est dans les ingrédients. En ce sens, la carte du restaurant California Dream s’inspire réellement de ces leçons. La cuisine est d’aujourd’hui, vive et souvent gracieuse, évite les écueils de mariages intrépides, provocateurs et mal travaillés, défend scrupuleusement le produit de qualité et joue de franchise dans les saveurs. Oui, il y a bien quelques clins d’oeil à l’Asie, quelques goûts empruntés qui ne touchent pas toujours au but visé, mais on sent les bonnes intentions et le désir de surprendre.

Quant au lieu, le dessein est manifeste: taper l’ego d’une clientèle appelée à rentabiliser au plus vite ce gros vaisseau futuriste. Avec une situation stratégique – devant le palace rococo de Daniel Langlois – et aux confins du Vieux, ce rêve de l’emphase exhibe de l’espace en hauteur et beaucoup de lumière pour une salle un peu étriquée où les convives seront coincés dans un encombrement de colonnes, de gréements, de lampes et se trouveront assis – très confortablement du reste – sur du plastique de couleur bleue signé Stark. On aime ou on n’aime pas. Mais on ne peut rester indifférent devant la pléthore. Ce décor excentrique entrelace tous les vocabulaires pêle-mêle et développe le thème Britney Spears à Hollywood. D’accord, la Californie, c’est aussi l’éclectisme des matières, le syncrétisme des styles et des idées.

Au menu du lunch, une formule entrée-plat-dessert proposée pour 19-25 $ n’exagère pas sur le pain béni. On ne peut en dire de même quant à la carte du soir qui double l’addition du midi… pour une cuisine à peu de chose près exactement semblable. Ainsi, une moelleuse chaudrée de fruits de mer, remplie de calmars, moules, pétoncles et palourdes, suavement assaisonnée, incarne l’abondance. Une assiette de légumes grillés nappés d’huile d’olive de qualité – aubergines, poivrons rouges, courgettes – évoque, elle, la saison fugace qui nous donne le meilleur des récoltes. Avec la magie du commerce, tous ces végétaux se comportent comme s’ils arrivaient directement des champs. En plat, un risotto de crevettes et de mange-tout s’efforce de montrer le meilleur de son pays d’origine, révèle la technique du chef – impeccable – et trouble juste un peu le murmure de nos conversations. Le beignet de poisson poêlé rappelle ces croquettes d’antan, épicées délicatement, d’une légèreté aérienne. La sauce à l’aneth frais qui le nappe est savante et l’on accompagne tout ça d’une splendide purée de légumes. Un filet de porc est poêlé avec la même maîtrise, servi sur une sauce aux pommes épicées et un gratin superbe de légumes caramélisés. Du bon travail bien fait. Un point faible aux desserts cependant, une dacquoise tristounette, un peu approximative, qui laisse un souvenir trop sobre comparativement à ce qui l’a précédé. Là où le bât blesse, c’est sur une carte des vins qui, si elle semble sublimer le meilleur de la Californie, est prête à vous la faire payer grassement: autour de 15 $ le verre d’un chardonnay aqueux. Mais on le verse dans un verre Riedel avec force sourire. C’est cher? Pfou! 110 $ à trois le midi, avec les taxes et le service, sans boissons.

Bémol: Outre le décor démesurément "américain" (plus séduisant de nuit) et des écuelles grossièrement disproportionnées, le service manque de fini et pousse un peu sur le salamalec. Fatigant.

Dièse: La cuisine est anti-académique, limpide et dépouillée, malgré quelques chocs (voulus ou non) gustatifs et un manque de sel universel.

California Dream
355, rue d’Youville
288-8999