Les expériences dans les restaurants informels – ceux où il n’y a ni nappes blanches, ni serviettes de tissu, ni verres de cristal ni même carte des vins – sont souvent les plus satisfaisantes. Pourquoi? Parce qu’on s’y comporte spontanément, comme chez soi.
Dans cette optique de la cuisine ménagère, plusieurs maisons ont réussi le pari de rester simples, modestes et économiques à la fois. Et il n’est pas rare qu’un bon petit resto fasse école une fois sa réputation établie. Mais il est assez rare, en revanche, qu’une école de cuisine devienne un resto. C’est pourtant ce qui s’est produit avec le loft-école de monsieur Ilyas Mirza, un designer d’origine pakistanaise qui se passionne depuis presque 10 ans pour l’enseignement de la cuisine de son pays natal. Autodidacte en gastronomie indienne, il a tout de même suivi une formation à l’ITHQ, ce qui a dû lui en apprendre un bout sur la cuisine occidentale, technique et tout.
Mais encore, direz-vous, qu’est-ce qui le distingue donc de ses compatriotes? Une cuisine fraîchement préparée, à l’instant, des épices malaxées pour chacun des plats qu’il propose à sa carte – en général, guère plus de quatre par jour – et la main légère sur le gras de cuisson, habituellement du beurre. Et ça fait toute la différence entre le transit intestinal confortable et le boyau irrité. Quand vous allez chez l’indien et que le repas vous reste sur l’estomac jusqu’au lendemain, dites-vous bien que le coupable a un nom: l’huile. Pas de ça chez Massala, dont le nom désigne le mélange d’épices qui entre dans chacun des plats, ce que l’on nomme par erreur "curry", une appellation héritée des Anglais.
Installé sous un pont, dans un de ces quartiers du centre-ville où les peintres et les travailleurs besogneux des fabriques environnantes coexistent, Massala se fait à la fois école de cuisine et resto, essentiellement ouvert le midi. Le petit local est décoré simplement, avec de jolis tissus folkloriques, bien que rien ne soit réellement cliché. Autour d’un long comptoir, monsieur Mirza cuisine les repas et sert les convives. Sur un tableau noir, on choisit un boeuf ou un poulet massala, ou un poulet au beurre – parce que les Montréalais raffolent de ce plat, ajoute-t-il comme pour se déculpabiliser de l’offrir. Chaque assiette est facturée entre 10 $ et 14 $ et comprend du riz et un plat de légumes, ce soir-là un délicieux mélange de pommes de terre, de carottes et de petits pois qu’on appelle sabji ("légumes" en ourdou) et qui, pour une fois dans ce genre d’endroit, ne s’avère pas un magma indiscernable. Les trois massalas sont délicatement épicés (le patron jure qu’il n’utilise que quatre épices: chili, fenugrec, curcuma et gingembre) et ont des parfums bien distincts; les viandes sont traitées avec expertise, fondantes à souhait, absolument succulentes. On accompagne de nan et de craquelins aux pois chiches ces assiettes assez copieuses que l’on peut parfaitement faire précéder de samosas croustillants et, encore là, frits à la minute. On termine sur un thé au gingembre, les desserts ayant disparu avant notre arrivée.
Si vous vous questionnez sur l’authenticité de cette interprétation, et que vous ne reconnaissez pas dans ces préparations plutôt légères la cuisine lourde et souvent brute des restos conventionnels, dites-vous que vous mangez comme dans une maison indienne: rien n’est préparé à l’avance et, surtout, rien n’est réchauffé de la veille, une pratique très courante dans les restos. Pour trois repas, comptez environ 45 $, taxes et service compris. On apporte son pinard si on veut.
Massala
995, rue Wellington
287-7455
Soy
Prototype de cette nouvelle génération de golden boys (ou girls) de la restauration montréalaise, aux idées claires et aux ambitions raisonnables, Suzanne Liu et son mari Manny Cheng ont rouvert Soy dans un nouveau local, boulevard Saint-Laurent, après l’incendie qui avait ravagé leur mignon petit troquet de la rue Saint-Denis. Rien de la façade modeste n’annonce la finesse des préparations ni l’originalité de la cuisine de madame Liu, une signature qu’on leur avait autrefois connue et qui leur avait assuré le dévouement d’une clientèle ponctuelle. Rien n’a changé sinon l’envergure de la carte, retouchée et repensée panasiatique. Nous avons eu droit à des filets de tilapia poêlés avec un hachis au gingembre, à un sauté de boeuf à la coréenne, à des dumplings d’un étourdissant raffinement, et à des satés au poulet avec cette sauce balinaise exquise qui nous faisait venir et revenir à l’ancienne adresse. Tout est préparé avec soin et présenté dans de jolies faïences japonaises. On propose une formule à 20 $ comprenant une entrée, une soupe, le plat et le dessert. En ville, et pour cette qualité, c’est tout simplement unique.
Soy
5258, boulevard Saint-Laurent
499-9399