Quoi de neuf chez Gautier, cette grande brasserie qui attire les nostalgiques depuis plus de 20 ans? Rien. Relisez Flaubert, Zola, Hemingway même, dont le Paris est une fête célèbre la vie dans la capitale. C’est un peu à cette évocation mélancolique que ce distingué restaurant, dont le décor boisé presque élégant s’est inspiré de l’art nouveau et des années folles – miroirs biseautés, céramiques, tulipes de verre pour tout éclairage -, convie son client. Et à une cuisine qui est tout aussi mélancolique, un peu endormie sur sa réputation.
Voyons un peu. Sur un grand menu plastifié, on retrouve tout ce qui fait le bonheur des habitués de ce genre de resto, ceux dont la nature n’est pas particulièrement délicate; on les comprend. Choucroute, bavette, rémoulade, boudin, foie de veau: on a là un beau répertoire qui donne sacrément envie de s’attabler. On se frotte les mains d’impatience. Et puis à mesure que les plats se présentent, on sent comme un petit malaise, tout aurait dû être si parfait pour un lieu qui en a à la fois l’air et la prétention.
Si une mousse de foie de volaille, crémeuse, de texture presque satinée, s’étend avec bonheur sur le pain – curieusement insipide pour un lieu attenant à une boulangerie – et que deux petites cailles grillées à point, bien assaisonnées, se laissent grignoter autour d’une petite panachée de laitue, on ne peut en dire autant de raviolis farcis de veau, trop cuits, et dont le goût hérite d’un long séjour au congélateur. On les présente dans un ramequin, nappés d’une sauce à la tomate parfaitement insipide, alors qu’on les annonçait au jus de daube.
En plat, le tournedos Boston, qu’on appelle communément rumsteck en Europe ou surlonge ici, est une pièce savoureuse – plus fine au goût que le filet, du reste – et à peine moins tendre, qu’on a poêlée à la perfection malgré le manque de sel et une sauce un peu importune. Il aurait mieux valu la servir avec un beurre manié. Proposée avec des endives braisées et quelques légumes tournés, c’est la viande dans ce qu’elle a de plus vital avec son persillade et son sang bien frais. On demande une purée de pommes de terre, tant qu’à faire dans la nostalgie, et l’on est ravi d’une vraie, onctueuse mousseline, beurrée et pleine de charme. Le filet de porc sauté est servi avec des pommes, mélange agréable certes, mais qui laisse une impression de silence ici, comme si le goût n’arrivait pas à se manifester. Ça y est, manque de sel. L’osso buco est réussi, fondant, tendre, la moelle abondante et grasse, ce parfum d’agrumes et d’ail en finale, la merveilleuse gremolata des Milanais qui vous redonne subito le goût de vivre. On sert tout ça sur un lit de nouilles fraîches, qui s’entortillent avec aisance dans la sauce tomatée, un délice. Puis, pour couronner le repas, des douceurs qu’on nous présente sur un chariot, classiques qui ont fait le voyage de la pâtisserie belge tout à côté et qui devraient faire preuve d’une croustillante fraîcheur mais qui, au contraire, sont un peu flasques et sans vie. Triste crème au beurre, fade religieuse, pâte à choux molasse… tss-tss-tss.
Oui, le service est impeccablement pro, la carte des vins, plutôt savante sans afficher des prix de terreur, mais il reste comme un petit dégrisement, Gautier s’engourdit. Comptez 115 $ à trois avant le vin, avec les taxes et le service. C’est quand même bien raisonnable, tout ça.
Dièse: Un décor planté, immuable, convivial et plein de charme. Un lieu plaisant qu’on a plaisir à découvrir ou à redécouvrir.
Bémol: Nous le redisons, une cuisine qui s’égare par moments. C’est peut-être nous qui en attendions trop?
Chez Gautier
3487, avenue du Parc
845-2992
Amuse-gueule:
Pour une première étape, les organisateurs du Festival Montréal en lumière ont invité Pep Palau, chef catalan de Vic, grand spécialiste des fromages fermiers de chèvre et de brebis des Pyrénées, et organisateur d’un mouvement de sauvegarde des traditions de son patelin qui a beaucoup en commun avec la naissance de Slow Food. Il viendra nous entretenir de l’importance des produits du terroir et de la cuisine de sa région. À l’ITHQ ce week-end.
Autrement, un autre coup d’envoi directo d’Espagne: la grande soirée conviviale catalane le dimanche 16 sous la baguette du chef étoilé Angel Pascual, dont on dit qu’il est vigoureusement original. Il lancera dès le lendemain une semaine de repas proposés à l’Hôtel Reine-Élisabeth.
Le grand chef du restaurant El Racò de Can Fabes, Santi Santamaria, président du Festival cette année mais aussi président des Relais Gourmands associés à la prestigieuse chaîne Relais et Châteaux, auteur de plusieurs livres de cuisine assez remarquables, fera le grand dîner à l’ITHQ le mardi 18, secondé par Anne Desjardins, Alain Labrie (dont les restaurants sont aussi des Relais Gourmands) et William Chacon.