Restos / Bars

L’Aïoli : Maison de charme

Ce couple charmant a déployé une énergie sans faille. Si, pour Pierre Guiraud et Stéphanie Lussier, quitter la Suisse a été une difficile décision qui a eu son lot de conséquences, installer son ambassade gourmande à Bromont relève d’une  gageure.

Ce couple charmant a déployé une énergie sans faille. Si, pour Pierre Guiraud et Stéphanie Lussier, quitter la Suisse a été une difficile décision qui a eu son lot de conséquences, installer son ambassade gourmande à Bromont relève d’une gageure. Et, disons-le, trouver une adresse originale mais de bon goût en région, une cuisine rigoureuse et intelligente, dans un décor qui n’évoque pas ou le chalet de ski ou la maison de Barbie, ce n’est pas une sinécure, surtout au beau milieu de l’hiver. Et, qui plus est, un dimanche soir. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Trop souvent, nous avons trouvé des menus qui proposaient une cuisine urbaine, annoncée sous l’en-tête emphatique de "cuisine régionale". Peu de plats mijotés, qui sont pourtant la base de la cuisine hivernale d’ici. Ils proclament la région, on obtient la ville.

À L’Aïoli, le chef Guiraud n’a aucune de ces prétentions. Son but est de faire la cuisine comme il en a été inspiré par les techniques et les produits de chez lui, le midi de la France et la Normandie, et par ses maîtres, le Suisse Freddy Girardet et le Gascon Guy Dutournier, respectivement deux et trois étoilés Michelin. Il prend ses ingrédients localement – le plus possible – mais n’en fait pas un credo absolu. Dans sa petite maison de campagne douillette et un peu élégante, sur la rue principale du vieux village de Bromont, duquel on aperçoit les pentes de ski, on a l’impression de se souvenir. Qu’il y avait autrefois des villages avec une vraie vie de campagne ici, des églises qui n’étaient pas devenues des centres de loisirs, et une cuisine qui marquait les longues soirées d’hiver autour du feu de cheminée.

Mais la cuisine de Guiraud n’évoque pas immédiatement le passé, elle est résolument moderne, droite, juste et savoureuse. Tout est réalisé à la minute ou le jour même, tant le pain que les sauces, une approche qui a presque complètement disparu des tables des régions du Québec.

D’une carte qui ne propose que quatre entrées et quatre plats, et qui change continuellement selon l’humeur, le chef montre un sens pointu du détail: cuissons précises, sauces délicates, parfumées avec doigté, jeu de textures et de couleurs, et des goûts qui ont de la structure et de l’équilibre. Un croquant d’escargot caché sous une tuile au parmesan, reposant sur un hachis d’épinards, est aussi beau que bon; une terrine de canard se présente avec un chutney de kumquats, légèrement épicé; des moules pochées au safran sont servies sans la coquille, présentées avec beaucoup de finesse, le chef ne négligeant aucun effort pour les mettre en valeur tant en bouche qu’à l’oeil. Il sert du magret de canard à peine saisi et découpé en éventail, à côté d’un ragoût de chanterelles avec des lentilles cuisinées et des radis poêlés, et montre le même empressement avec les joues de veau braisées longuement, les sucs et les gélatines se mêlant suavement avec une sauce parfumée à la truffe. En finale, il ne s’essouffle pas: une mousse au chocolat présentée comme des petites bûches, étalées sur une assiette japonaise; ou une poire rôtie au sirop d’érable, nappée d’un caramel onctueux au goût de whisky.

Voilà une maison établie sous le signe du Soin avec un S majuscule. La bonne humeur de la patronne est contagieuse, le service en salle, courtois et efficace, autant que la sobriété distinguée de son mari. Ici, rien n’est trop long, trop grand, trop fort, ni trop cher, du reste. Comptez un peu moins de 90 $ pour deux personnes, avec les taxes et le service, avant le vin.

L’Aïoli
671, rue Shefford, Bromont
(450) 534-5557

Amuse-gueule:
Il est souvent de coutume de dénigrer la cuisine américaine: on la trouve infantile, simpliste, grossière. Mais c’est ignorer qu’il existe d’authentiques traditions régionales aux États-Unis, menacées, c’est vrai, par l’industrialisation. Le fait que l’ex-président Clinton se nourrissait de chips au ketchup y est peut-être pour quelque chose. Spécialisées en cuisine américaine, les deux auteures, installées en France, entendent bien corriger l’ignorance des lecteurs français en se penchant sur ce qu’il reste de ces traditions à travers le pays dans un voyage qui couvre sept grandes zones géoculturelles, de la Nouvelle-Angleterre à la Californie. Avec une iconographie absolument splendide, des textes intelligents et fouillés et des photographies qui s’apparentent bien davantage à des oeuvres de shooting mode, cet ouvrage montre qu’on peut traiter d’un sujet aussi controversé avec un regard frais. On y parle de toutes les tendances qui ont marqué l’histoire récente, des luncheonettes aux delicatessens, diners, Thanksgiving, BBQ et Tabasco, et jusqu’aux traditions tex-mex qui ont toujours fait partie de la culture du Sud-Américain. En un sens, ce livre révèle aussi un peu de notre histoire gastronomique à nous, et l’influence des USA sur notre culture, pour le meilleur et pour le pire.

Saveurs américaines, de Constance Borde et Sheila

Malovany-Chevallier, Éditions du Chêne, 183 pages.