Restos / Bars

Tapas saisi?

Les tapas sont une formidable invention espagnole dont le but, à l’origine, était de permettre aux gens qui revenaient du travail de grignoter avant l’heure du souper. Qui se prend généralement vers les… 22 h. Mais ce n’est pas à un repas de tapas typique que nous convie le joli restaurant Deux – thème japonisant, couleurs sobres, éclairage si tamisé qu’il est quasiment inexistant -, installé comme un phare de la branchitude au coin des rues Sherbrooke et Saint-Laurent.

Les tapas sont une formidable invention espagnole dont le but, à l’origine, était de permettre aux gens qui revenaient du travail de grignoter avant l’heure du souper. Qui se prend généralement vers les… 22 h. Mais ce n’est pas à un repas de tapas typique que nous convie le joli restaurant Deux – thème japonisant, couleurs sobres, éclairage si tamisé qu’il est quasiment inexistant -, installé comme un phare de la branchitude au coin des rues Sherbrooke et Saint-Laurent. Au contraire, les deux chefs qui officient à la vue de tous, et contre vents (de bruits de fond) et marées (de musique techno à fond la caisse) ont tripatouillé l’idée et l’ont américanisée. Le choix des mets est cosmopolite, les portions plus importantes, et devant un choix impressionnant de cocktails colorés et souvent sucrés, nullement compatibles avec de la nourriture – très américain ça – la carte des vins est traitée en parent pauvre. Mais si l’ambiance dans laquelle ils sont servis se rapproche de celles des bars à tapas de Séville ou de Madrid – frénétique, bruyante, spontanée -, la faune est pourtant beaucoup plus sage (mais elle est griffée tout de même) et surtout, plus jeune. Pourtant, dans le genre de lieu où d’ordinaire la cuisine n’est qu’un euphémisme, le Deux semble vouloir faire une différence: une cuisine soignée, vivante, bien de son temps sans être totalement improvisée. On sent que les chefs prennent la chose au sérieux, et cela, en dépit du service qui ne connaît pas bien les plats et ignore les détails. Bon! On leur pardonne, elles sont aussi de leur temps, ces jeunes femmes habillées en courtisanes modernes. Et puis, pour changer, elles sourient et parlent français. Quoi demander de plus à une brigade de la rue Saint-Laurent?

La carte propose vingt tapas dont les prix varient entre 3 $ et 8 $, ce qui laisse aux clients le choix de s’attabler pour un repas ou l’apéro. Les saveurs méditerranéennes côtoient les parfums thaïs, les clins d’oeil italiens et mexicains. Ainsi, les calmars frits sont relevés de piment fort et de gros sel, et sont censés être arrosés de jus de lime qu’on presse soi-même si on désire neutraliser la finesse de la pâte et le goût exquis d’une friture délicate, craquante et savoureuse. N’en faites rien et contentez-vous de grignoter ces jolies petites bêtes à la chair fondante dans leur état quasi naturel. Signe qu’elles ont été traitées avec respect – ou presque. Le thon ahi saisi avec des zestes d’orange et un peu de piment chipotle au parfum fumé et étrangement mordant, que l’on sert autour d’un filet d’huile de chili, serait parfait si ce n’était du manque criant de sel. Heureusement, on nous apporte du sel de mer pour corriger, détail tout de même sympa. Les moules sont non seulement magnifiques dans leur jus blanchâtre de noix de coco, d’orange et de cardamome, elles sont succulentes. Des petits dumplings remplis de pâte de crevettes, à la chinoise, sont croustillants et mêlent des arômes de gingembre et d’oignons, et des crevettes entières sautées se présentent avec des pommes de terre sucrées sur un curieux et inhabituel mélange d’huile de piment et de cannelle, et peut-être même d’un peu de sucre de palme. Le mélange est pourtant souriant, presque une blague tant il est insolite. Puis des pétoncles miniatures sont poêlées avant d’être nappées de crème, de Pernod et de finir sur une assiette avec de vrais röstis de carottes et de pommes de terre en julienne. Là encore, manque de sel. Un leitmotiv ici. Les desserts sont parfois totalement absents de la carte, ce qui choque les clients, nous dit-on. Mais après un repas complet de miniatures, qui nous laisse aussi repus qu’un ours, qui s’en plaindra? Comptez environ 85 $ pour la moitié de la carte, taxes, service et deux verres de rouge compris.

Bémol: la musique trop forte, le service un peu sulfureux.

Dièse: la cuisine est bonne et pleine de fantaisie, le décor original dans le genre.

Deux

2, rue Sherbrooke Est

(514) 843-8881

SUR LES RAYONS

Aldo Buzzi, architecte octogénaire milanais, est un auteur hédoniste, érudit, et surtout voyageur. Dans chacun de ses ouvrages précédents, l’auteur évoquait une ville, un pays, une culture par des euphémismes savants et racoleurs sur la vie de ses habitants. Sa prose faisait vivre les sensations du voyageur, donnait vie à des récits qui pourraient n’être que de banales histoires. Par des anecdotes, des citations d’écrivains (Suetone, Colette, Gadda et même Fenimore Cooper) et de cuisiniers (Michel Guérard, entres autres) auxquels il se réfère volontiers, Buzzi donne aujourd’hui au monde de la table une délicieuse série d’essais intitulée L’oeuf à la kok, qui s’inscrit dans un genre littéraire indéfinissable: mi-sérieux, mi-loufoque, à la fois essai et récit de voyage, un peu didactique et tout à fait philosophique, avec des trucs ici et là, des dessins et même un conseil sur la meilleure façon de rédiger une recette. Buzzi c’est un peu le pendant littéraire et très gourmand de Jacques Languirand. On dévore ça en quelques heures.

(Arléa, 170 pages)