Cet élégant avocat afghan, à qui l’on demandait de nous parler de sa cuisine nationale, avait ceci à dire: elle serait entre la Méditerranée et l’Inde, pas aussi sous-épicée que l’Europe du Sud, mais pas aussi surépicée que celle du sous-continent indien. C’est une cuisine du compromis. C’est donc à une sorte de concession entre la fougue et la modération que nous convie le restaurant Le Cavalier Afghan. Ça n’évoquerait pas chez vous quelques souvenirs par hasard?
Les Latif ont quitté l’Afghanistan il y a vingt ans – à pied, de nuit, à travers les cols himalayens, au milieu des bombes russes et des espions arabes. Le Québec a dû leur paraître bien calme. Surtout sur la rue Papineau, où ils avaient ouvert leur premier resto, du même nom, dans ce qui était alors un Plateau inconnu.
Aujourd’hui, ils se sont réinstallés rue Prince-Arthur et se promettent bien de faire parler d’eux avec une cuisine et un décor tout à fait charmants. Monsieur est aux fourneaux, madame s’occupe des clients. Entre le cosy d’une maison bourgeoise un peu défraîchie, avec un feu de cheminée qui crépite doucement, donnant une ambiance romantique à ces murs en faux torchis peints à la main aux couleurs de terre brûlée (sans allusion) et ornés de magnifiques tapis, le kitsch règne en maître sans pourtant n’être jamais insignifiant. Ce décor évoque aisément le côté convivial et informel de la culture afghane.
Au menu, notre avocat avait bien raison, on trouve de ces spécialités d’origine turque, indienne et perse, que l’inventivité afghane a reconstruites et faites siennes: les samosas indiens deviennent des sambossas afghans, des beignets miniatures de pâte frite, légers et à peine gras, farcis d’un mélange d’épinards braisés avec beaucoup de clous de girofle et d’une trace de gingembre. Ils sont présentés avec une sauce aux tomates bien relevée. Les manetous ont un air oriental indéniable par la forme – celle de ravioli chinois – et la cuisson vapeur qui donne de l’élasticité à une pâte délicate. Fourrés d’agneau haché, de haricots et d’épices, on les présente sur une sauce au yaourt parfumé à la menthe séchée. C’est tellement bon qu’on s’en ferait tout un repas. En plat principal, au milieu des grillades prévisibles, kebabs et koftas, qui, nonobstant leur omniprésence sur les menus du Moyen-Orient, sont particulièrement succulents chez les Afghans, on propose un plat de jarret d’agneau entier cuit à l’étouffée, où la viande est si tendre qu’elle se détache de l’os dans un souffle. Son parfum est celui du paradis disait l’avocat avec qui nous dînions – quel poète! Je ne sais pas ce que goûte le paradis à vrai dire, mais cet agneau odorant est une merveille de cuisine domestique. Le borani est un ragoût de boeuf assez traditionnel, bien relevé de girofle, d’ail, de coriandre et d’une trace de cayenne, que l’on sert avec du chou-fleur braisé dans la même sauce et cet excellent kabuli palau, le plat national, du riz braisé aux oignons caramélisés, raisins secs, carottes en julienne et cumin. On sort de table, si on en sort, car l’ambiance et l’accueil auraient tendance à nous y retenir, redoutant quelques douceurs exagérément visqueuses; on nous apporte un genre de blanc-manger fragile, presque aérien, parfumé à l’eau de rose et à la cardamome, et garni de pistaches.
Ce resto est donc une surprise de sincérité au milieu des prévisibles grilladeries grecques de cette rue ultracommerciale, et l’avocat en rajouterait: déjà-vu! Et puis on apporte son pinard, ce qui ramène l’addition à un raisonnable 43 $ à deux, tout compris.
Bémol: L’emplacement géographique.
Dièse: La gentillesse de la patronne. Un réel souci de faire de la "bonne" cuisine.
Le Cavalier Afghan
170, rue Prince Arthur
(514) 284-6662
Zahlé
Disons-le tout de suite, ce restaurant Zahlé n’est ni un restaurant ni même un troquet pour manger. À moins de venir vous installer sur la seule table de l’établissement et qu’on ne soit pas trop occupé pour vous servir, et que, bien entendu, la table en question ne serve pas de comptoir pour rouler la pâte ou taillader le persil, car sa vocation est surtout celle d’un traiteur. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’y fait pas de la cuisine. En fait, selon plusieurs, on y sert la meilleure cuisine libanaise en ville: cuisine de lahmajoune, de falafel, de petits pâtés fourrés aux légumes ou à la viande, une cuisine d’hydrates de carbone, censée mettre du pétrole dans le moteur. Surtout par grand froid. Et tout est fait à la main, à partir des recettes de la grand-mère. Et ne demandez pas, on ne vous donnera pas les recettes!
Zahlé
1465, rue Dudemaine
(514) 336-3013