Les hôtels font parfois de grandes manoeuvres. Dans le cas de la chaîne Sofitel, on pourrait parler de prodige. En métamorphosant un building moderniste des années 70 en hôtel postmoderne élégant, elle a contribué à embellir le centre-ville. À la rigueur, tout ce qui rajeunit un peu ce style anonyme – la norme il y a 25 ans – y contribue. On a gardé la carcasse, on l’a retapée, et soudain, comme d’un coup de baguette d’Harry Potter, on a un nouveau building flambant neuf. Au rez-de-chaussée de ce luxueux hôtel, on a installé le resto Renoir, comme le peintre à qui le décor et le design ne font surtout pas référence. Plutôt à l’histoire d’une peinture DE Renoir qui appartenait à l’un des patrons, qui l’aurait léguée au Musée des beaux-arts, nous apprend le serveur. Car dans ce décor de cathédrale, avec ses poutres et ses grandes fenêtres, son bar en bois blond, ses oeuvres d’art de qualité tant sur les murs que derrière une verrière, des couleurs sobres et un tantinet austères et des arrangements floraux d’une grande distinction, on a vraiment l’impression d’entrer dans une grande maison contemporaine. Qui évoque l’idée architecturale d’immensité que l’on se faisait des espaces publics – aéroports, halls de gare – dans les années… 70!
La carte du chef Éric Fradeau s’inspire des nourritures de la Méditerranée, littoraux sud et nord, et les mêle avec une certaine aisance qui traduit son intérêt pour les épices, les légumes du soleil, et des juxtapositions qui ne sont pas sans vivacité. Des associations qui ont beaucoup en commun. Cela donne cours à un style imaginatif que l’on caractériserait par un sens acéré et raffiné des parfums, et une présentation un peu précieuse. S’ils sont parfois un peu importuns, on sent que ces plats sont réfléchis. À la hauteur du cadre, si l’on peut dire. Et sans être tout à fait de la grande cuisine, c’est de la cuisine bien faite, qui gagnera en maturité une fois qu’elle sera mieux maîtrisée.
La raviole ouverte de jeunes légumes en barigoule (disons farcis et braisés, pour les Provençaux) se présente sur une émulsion au basilic et au citron confit trop peu relevée. Si la touche marocaine se devine par le mélange d’épices, on la voudrait plus vigoureuse pour servir de point d’orgue aux légumes, pas seulement d’accent grave. Le croustillant d’oignons caramélisés et d’effiloché de queue de boeuf repose sur une pâte craquante, séduisant contraste entre des textures dures et flasques, qui montre une bonne complémentarité entre les ingrédients principaux. La viande est fondante, les parfums, francs et arrimés. En plat, nous choisissons un suprême de volaille (un peu trop cuit et, par conséquent, un peu sec), que l’on associe à un caramel de gingembre pas très méridional mais compatible avec la viande, et que l’on accompagne d’une sorte de soufflé de haricots blancs délicieux et d’une texture tout à fait aérienne. Et une pastilla de canard, ce dernier servi en deux configurations: confit, posé sur la pâte fine; et haché avec un mélange de dattes et de pistaches, un peu à la manière de rillettes, que l’on nappe d’un jus court et dense parfumé au cumin et à la coriandre et que l’on sert avec ce que les Siciliens appellent un arancino – une croquette de riz, bien fromagée. Pas inintéressante en soi, un peu gauche avec la pastilla cependant. Les desserts restent le point faible: un flan… mou, et un truc aux fruits, sans intérêt.
Sans inoculer d’enthousiasme – seule vraie communion avec le client -, le chef montre qu’il a de la personnalité et du savoir-faire. Or, si elle est inventive, il manque à sa cuisine un peu de cette horlogerie suisse – précision et rigueur. Peut-être lui faudrait-il redécouvrir la simplicité.
La cave n’est pas chauvine; elle ne se contente pas du tour de France auquel on s’attendrait d’un Sofitel, faisant quelques échappées dans les autres régions vinicoles du monde.
Si le service a le pas véloce, on ne peut pas dire autant de bien du tact de la brigade, toujours là à nous interrompre pour nous demander si tout va bien, si tout est à notre goût, comme prévu. Grrrr! Il faut dire que cette agaçante habitude des Nord-Américains implique que les professionnels qui sont censés s’occuper de vous sont inquiets et insécures. Ce n’est pas bon signe. Le service doit être sobre et efficace. Pas efficace et volubile! La chose est connue: il n’est pas facile de faire simple. Comptez 130 $ à deux, taxes, service et deux verres de vin compris.
Bémol: Ben… trop de salamalecs, c’est comme pas assez! Le service frise l’obséquieux.
Dièse: L’accueil charmant et stylé. Le décor spectaculaire.
Renoir (Hôtel Sofitel)
1155, rue Sherbrooke Ouest
285-9001