Mon dernier repas à cette table remonte, si je me souviens bien, à environ trois ans. L’arrivée du nouveau chef, qui avait déjà fait ses preuves ailleurs, était alors très, mais vraiment très récente. "J’aurais dû attendre un peu…" m’étais-je dit. Malgré un estomac un peu rancunier, m’y voici de nouveau, ce soir, en nombreuse compagnie. Souper de presse et menu "Découverte", cocktail, visite des chambres décorées chacune de trois sanguines originales signées René Gagnon. Trois oeuvres de ce célèbre peintre québécois nous avaient d’abord accueillis dans le hall d’entrée. Quand arrive enfin le moment de passer à table – une heure et demie après notre arrivée -, je ne suis pas le seul à grommeler qu’on aurait pu nous "entretenir" un peu avec quelques amuse-gueule. Mais tous pardonnent volontiers cette peccadille dès que se présente à nous la "mise en bouche": cuisse de caille, duxelle de légumes et bison fumé, ail en chemise, branche de thym et chips de taro. La succulence de la cuisse de caille (tout de même un brin trop salée) l’emporte sur l’acidité trop présente de la duxelle. Dans la salle à manger, boiseries et miroirs brillent de tout leur éclat. Des photographies d’archives remontant au début du dernier siècle évoquent ici et là, en noir et blanc, divers quartiers de Québec, la côte d’Abraham, les portes Saint-Louis et Saint-Jean… Autour de moi, ça converse, devise, bavarde. Un Ste-Pétronille blanc, de l’île d’Orléans, nous est bientôt servi pour arroser notre première entrée: saumon mariné présenté, avec son émulsion aux herbes et sel de Guérande, dans de grandes assiettes cerclées de couleur. Un très bon départ, à vrai dire, vite relayé par la deuxième entrée, accompagnée de cidre Empire (Dunham) et constituée de foie gras au torchon escorté d’une compotée de pomme au cidre de glace et de "toast brioché". Là, on reconnaît vraiment la main d’un chef, l’onctuosité du foie gras apprêté de main de "maître", la subtilité des assaisonnements. Peut-être qu’il nous pousse en douce de petites ailes d’ange… Après un granité rhubarbe et mistelle d’amélanchier de l’île aux Coudres, je sens que mes papilles… se frottent les mains en attendant le magret de canard de Barbarie laqué au miel de Beaupré, sur poire rôtie et thym au citron. Ce plat de résistance s’amène dans une grande assiette creuse, en porcelaine blanche, chapeautée d’une cloche assortie. Brûlant! On vous découvre l’assiette, et une chaude bouffée de parfums vous cueille en pleine gourmandise. Un simple "ah" suffit alors à exprimer une multitude de sentiments où se bousculent entre autres la surprise, la satisfaction, la joie. Certains hésitent à attaquer, tâtent un peu d’un Côtes-du-Rhône rouge (E. Guigal) avant de se décider. La sûreté de main se révèle, une fois encore. Le magret semble d’abord un peu plus rosé qu’il ne faudrait; le temps pour moi d’attaquer la deuxième tranche, la chaleur résiduelle parachève le travail. La sauce se révèle serrée, corsée, adoucie juste ce qu’il faut par le miel et les tranches de poires. Dans le fond de l’assiette, des haricots français et des pâtissons nains tentent vainement (ou presque) de détourner mon attention. Le service s’est progressivement accéléré sans rien perdre de sa précision et de sa courtoisie. Un détail m’a d’ailleurs frappé dès le début du repas: l’eau nous a toujours été servie non glacée, petite délicatesse qui fait défaut à bien des restaurants de la région… Et nous nous retrouvons bientôt devant la "trilogie de fromages, tuile au romarin et petite salade à l’huile de noix" avec, à portée de la main, un verre de porto Sandeman. Le Ciel de Charlevoix est dans ses bons jours; le migneron, égal à lui-même, s’étale à demi-fondu sur un croûton; dans le Saint-Pierre-de-Sorel, que je ne connaissais pas, je décèle une faible amertume qui ne me plaît pas. Nous concluons au champagne (Lawson Black Label) pour faire honneur à l’assiette dégustation du chef pâtissier: une mini-crème brûlée aux framboises (les sept péchés capitaux réunis!), une grande corolle de pâte (savoureuse!) garnie de trois sorbets (mangue, citron et fruits des champs). Dans l’assiette, une longue larme brune, un coulis sirupeux, nuancé de douceur et d’acidité. Du vinaigre balsamique très réduit et du sirop d’érable: c’est ce que nous confie le chef, au moment de sa tournée des convives. Le dosage? Nul ne songe à poser la question. Il faut dire que nous flottons encore, que le temps a passé trop vite… et que chacun, sans doute, songe à ramener chez lui au plus vite quelques beaux souvenirs pour enchanter sa nuit.
Restaurant Le Charles Baillairgé
Hôtel Clarendon
57, rue Sainte-Anne
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 692-2480 et 1 888 554-6001
Tables d’hôte: de 21,95 $ à 28,95 $
Menu du jour à partir de 8,95 $