Nous n’y avions pas remis les pieds depuis trois ou quatre ans, soit une éternité au cours de laquelle nous avons souvent évoqué les moments magiques que nous y avions passés. En franchissant le seuil de la salle à manger, ce soir, nous voici de nouveau conquis, émus comme à un premier rendez-vous galant. Et nous nous retrouvons à la même table, nous semble-t-il, mais un peu plus près de la fenêtre – une de ces grandes baies vitrées d’où l’on embrasse du regard tout un pan de Charlevoix, le fleuve, le petit bateau blanc perdu dans l’immensité. Ici, tout est distinction, calme et sérénité, une ambiance que nous dégustons paresseusement après avoir choqué nos verres d’apéro – porto blanc contre muscat. Jeune, souriant et stylé, le personnel se montre aussi attentif et empressé. Trois serveurs et une serveuse assureront le relais au cours de la soirée, sans nous envahir, guettant de loin le moindre geste ou le moindre signe de notre part. Tout aussi discret, Jean-Guy Bouchard reviendra souvent au piano, mais ne s’y attardera jamais longtemps. La carte? Une aventure multiforme qui nous promène de la table gourmande de trois services aux menus plus étoffés de cinq à sept services ("Découverte", "Tentation" et "25e anniversaire"). Saumon de l’Atlantique fumé "par nos soins", doré du lac poêlé, beurre d’aubergines, terrine de cerf aux morilles, foie gras, côte de veau de lait… Mon amie me fait ainsi la lecture à voix basse, sur le ton de la confidence, me laissant à peine le loisir de répliquer à coups de flétan poêlé en écailles de pomme de terre au beurre rouge, agneau de Charlevoix en trois temps, sole de Douvres poêlée au beurre citronné. Nous en sautons quelques-uns, forcément, pour les redécouvrir en rebroussant chemin, si l’on peut dire, pressés de passer notre commande, mais nous hâtant peu de choisir. On se décide, on se ravise… pour tout reprendre depuis le début. Quand mon amie me souffle "C’est fait!", je craque à mon tour et avise l’un des serveurs. Nous voici maintenant accaparés par la carte des vins, véritable catalogue d’une cave dont les plus exigeants n’ont rien à redire: "8000 bouteilles de grande garde, 2000 vins de consommation courante et 650 références." J’envie un peu mon amie, car j’ai décidé de ne pas aller au-delà de mon porto blanc. Elle se fait conseiller, hésite encore, s’égare parmi les vins d’Arbois, survole l’Alsace, se permet une escapade bordelaise, puis s’en remet à l’avis du sommelier: un bourgogne de grande tenue. Elle ferme les yeux pour goûter son Gevrey-Chambertin (Louis Jadot 1999) et soupire: "Divin!" "Du vin", rectifie en souriant le sommelier. J’ai humé le nectar, mais n’en ai pas pris une gorgée. Je me suis par contre consolé, et largement, de la mise en bouche: des rillettes de saumon servies dans une cuiller chinoise et piquées de deux câpres. Savoureuses, d’un moelleux et d’une délicatesse infinis! On ne mangerait que ça. Mais je ne me prive nullement de faire un joyeux sort à mon entrée de caille rôtie en salade – goûteuse, tendre, raffinée – et d’accorder un peu d’attention à la petite assiette qui me fait face. Du râble en croûte de pavot posé sur deux cannellonis farcis de lapereau et, dessous, une exquise sauce aux morilles: cela vous fait en bouche une douce violence et mérite le sanglot qui m’échappe autant que la rougeur vaguement embuée que je surprends dans les yeux de mon vis-à-vis. Je ne suis pas moins charmé quand j’entame mon émincé d’agneau du Québec rôti au thym accompagné de fenouil, de pleurotes, d’asperges et de courgettes naines. Cette viande saine, rosée, appétissante et de bon goût, accommodée d’une sauce courte et bien équilibrée, voilà qui vous remet l’appétit à neuf. Toutefois, je déchante un tantinet au bout de quelques minutes: certaines tranches, tendres tout autour, révèlent un coeur strié de "tirailles" qui découragent le couteau le plus aiguisé. Je me rabats alors sur les accompagnements, hormis la purée de pommes de terre (bonne, mais pas vraiment à la hauteur de ce que j’ai mangé jusqu’ici). De l’autre côté de la table, l’extase est au beau fixe, la fourchette leste et le vin généreux. Au gré de sa fantaisie, mon amie alterne ou combine bouchées de ris de veau et bouchées de queues de homard, prolixe d’éloges auxquels je joins bientôt ma voix après que nos fourchettes se sont croisées dans son assiette… tout à fait par hasard. Le temps a passé trop vite. Il fait déjà noir, dehors, quand j’entame ma crème brûlée – délicieuse, malgré sa croûte froide. "Un peu déçu?" Je m’attendais à cette question de ma compagne et y réponds donc tout de go: pas vraiment; c’est la magie de l’ensemble qui l’emporte.
Auberge La Pinsonnière
124, rue Saint-Raphaël
La Malbaie, secteur Cap-à-l’Aigle (Québec)
Téléphone: (418) 665-4431 ou 1 800 387-4431
Tables d’hôte à partir de 60 $
Souper pour deux (incluant boissons, taxes et service): 321,43 $