Décidément, l’avenue Victoria gagne à être fréquentée: on y trouve de tout. Mieux encore, on y est partout: les Philippines, les Antilles, l’Inde, le Vietnam, même la Grèce. Et, non, ce n’est pas une histoire de pêche, quoique…
Yannis est un beau resto grec judicieusement établi à côté de la fort sympathique poissonnerie Victoria (connue pour son remarquable saumon fumé, spécialité du patron, Frank). Quoi de plus naturel que le jumelage, façon Sirène de la mer, d’une maison spécialisée dans les produits de la mer et d’une poissonnerie? Mariage de raison et d’amour.
L’établissement possède une grande terrasse fleurie recouverte d’un auvent marine. On n’a plus qu’à s’imaginer le bruit des vagues à la place de celui des voitures. À l’intérieur, on a sagement préféré la sobriété à la couleur locale, souvent factice. La Grèce, on la trouve dans quelques artéfacts discrètement posés çà et là. L’essentiel saute aux yeux dès qu’on franchit la porte: un comptoir où d’admirables spécimens marins trônent sur un lit de glace. On les dévore des yeux avant de les dévorer tout court. Le message est on ne peut plus clair: ici, on prend les poissons et les fruits de mer au sérieux.
Qu’on se rassure: on est loin de ces établissements huppés (contre lesquels on n’a du reste rien à redire) où le poisson se négocie à prix d’or. Le client, nerveux à la pensée de la douloureuse qui l’attend au détour, se représente son poisson assis dans une cabine de première classe, un verre de champagne à la nageoire. Non, ici, le poisson, s’il se déplace en aéroplane, a le bon goût (!) de voyager en classe économie.
Mais commençons par le commencement. Difficile de résister à l’appel de sirène (mythologie grecque oblige)… de la pieuvre grillée. Que ceux qui s’imaginent que la pieuvre n’est jamais que de la gomme "balloune" au goût de poisson remisent leurs préjugés. Les morceaux qu’on nous sert ici, accompagnés de dés de poivrons légèrement rôtis, sont fermes mais tendres, la chair d’une blancheur exquise. Sans oublier l’inévitable filet d’huile d’olive. Tout simplement divin.
(Parlant d’huile d’olive… Celle qu’on nous propose pour accompagner le pain, agrémentée de quelques gouttes de vinaigre, est délicieusement parfumée. Grâce à elle, le pain servi grillé, au fond banal, connaît ce qu’on appellerait, si on n’avait pas peur des grands mots, une véritable transsubstantiation.)
Autre incontournable bien réussi, la salade grecque, la vraie, sans la moindre traces de laitue: que les suspects habituels (tomates, feta, olives, concombres, poivron vert et oignon rouge) nappés d’une vinaigrette… vinaigrée et un soupçon d’origan. La portion est généreuse: on a facilement les yeux plus grands que la panse.
C’est d’ailleurs là que le garçon, très méticuleux sous ses dehors décontractés, entre en scène. À la lumière des entrées choisies, il vous dégotera un poisson pour deux à la mesure de la place qu’il vous restera. Détail important, étant donné qu’on vous facture à la livre (de 21 à 25 $). Ce soir-là, on nous recommande un loup de mer arrivé tout droit de Grèce, qu’on grille à la perfection avant de nous le présenter, tout paré et servi avec quelques légumes grillés et du brocoli vapeur bien croquant. La chair du poisson est moelleuse, pas sèche pour deux sous, relevée d’une généreuse poignée de câpres. On sent, contrepoint discret, la présence du citron et de l’huile d’olive, et on se prend à bénir ces cultures séculaires où le savoir-manger fait partie des mours.
On aura soin de choisir un petit blanc parmi une liste courte où ne figurent, histoire de rester dans le ton, que des vins grecs. On trouve là des noms connus (à partir de 20 $ la bouteille), mais aussi quelques crus intrigants, plus chers, certes, mais sans extravagance.
Côté desserts, on propose, outre le baklava maison, un somptueux yaourt, maison lui aussi. Suivez les conseils du serveur et modérez vos transports: les portions sont gargantuesques. Le yaourt rappelle un volcan aux flancs recouverts de scories de noix concassées, dont le cratère serait rempli de miel. Le mélange du sûr et du sucré fait merveille. Ne manquez pas le café grec, fort, sucré à la demande, presque sablonneux… Il suffit de fermer les yeux pour s’imaginer là-bas.
Bémol: depuis la terrasse, la vue sur une pharmacie, et non sur un port de plaisance de la mer Égée.
Dièse: une cuisine simple, sincère, maîtrisée, des prix plutôt sages.
Prix du repas décrit ci-dessus: une soixantaine de dollars avant le vin, les taxes et le pourboire.
6045, avenue Victoria
(514) 737-9384