Restos / Bars

La p’tite table : Petite table, grande cuisine

Réglons d’abord les détails qui font chaud au porte-monnaie: 9,95 $. Addition lumineuse affichée par La p’tite table pour un midi qui, sans cela, aurait été glauque; les enfants étaient repartis à l’école, finie la rigolade des matins lents. D’autant plus lumineuse que pour deux fois 9,95 $, nous avons eu la joie de déguster quatre petits plats soignés. Sans parler du fait que ces plats nous auraient coûté plus cher si nous les avions préparés nous-mêmes à la maison ou infiniment plus cher si nous les avions commandés dans un de nos restos chics du centre-ville.

Et toute petite qu’elle s’annonce, cette table est aussi très jolie. On se sait à une bonne adresse dès l’entrée où une belle photo de vache accueille les clients à la porte. Elle a les yeux doux des bovins pas fous du tout et cet air rassurant qu’ils ont avant de devenir filet, faux-filet ou contre-filet. Le décor est plutôt réussi, couleurs en trompe-l’oeil et photos aux murs. On est déjà venu ici, mais on a peine à se souvenir des établissements précédents tant celui-ci a su trouver le ton juste.

En soirée, le choix est plus varié: une demi-douzaine d’entrées, cinq plats principaux, cinq desserts. Quelques moments forts comme ce gigot d’agneau de sept heures et tagliatelles de blé noir, savoureux, tendre et généreux. À midi, budget oblige, le client choisit entre deux entrées et deux plats principaux. Ce jour-là, oeuf à la florentine et salade de pâtes, suivis de saumon et de poulet. Rien de miraculeux, en fait des choix potentiellement très ennuyeux. Pourtant, tout est préparé comme si l’on s’était ingénié à placer des pièges pour pouvoir les éviter avec grâce.

Ainsi, en entrée, cet oeuf mollet aurait pu déclencher des bâillements s’il n’avait été accompagné d’une ravissante béchamel maison, d’épinards frais et d’une touche de crème, et si le tout n’avait été élégamment servi dans une jolie tasse. Belle cuisson, équilibre des textures, mariage heureux des saveurs, personne ne baillait dans le petit restaurant ce jour-là. Même la salade de pâtes était intéressante, c’est tout dire, car on avait pris soin de l’accompagner d’une solide tapenade et de filets de sardines déposés sur des demi-toasts grillés.

En plat principal, une raisonnable portion de dos de saumon, poêlé, préparé dans un fumet de poisson relevé de vin blanc. En bouche, on trouve des traces d’ananas, de banane, de noix de coco et de curry. Le poisson partage l’assiette avec une galette de semoule mêlée de raisins secs et habillée de cannelle, de coriandre, d’amandes tranchées et de quelques éclats de tomates. Le poulet proposé volait lui aussi très haut pour un volatile habituellement rase-mottes et soporifique. Sauté et généreusement imbibé de vin blanc, il était vivifié par quelques petits cubes de prosciutto, de grosses gourganes et une tombée d’oignons. La présence à ses côtés d’un petit mesclun aux feuilles bien choisies et d’une purée de pommes de terre relevée d’une pointe d’huile de truffes contribuait à rendre le plat intéressant. Dans tous les sens du mot, puisqu’on se pince en se rappelant ce détail: 9,95 $.

Bien sûr à ce prix-là, on peut se permettre un dessert, pour moins de 5 $. Le chef n’est certainement pas pâtissier, mais propose des interprétations presque familiales de desserts simples. Le jour de notre passage, une impeccable tarte Tatin accompagnée de glace à la vanille ainsi qu’une banane rôtie, nappée de crème caramel et mariée à une tuile aux amandes, aérienne comme il se doit.

En soirée, le service est assuré avec douceur et sollicitude par la patronne; le midi, par le patron. C’est moins doux, bien entendu, mais beaucoup plus divertissant puisqu’à l’occasion, comme tout bon Breton qui se respecte, il porte un joli chapeau rond. Le biniou sous son bras encombre bien un peu, mais il faut bien lui concéder quelques privilèges, c’est quand même lui le patron. Quoi qu’il en soit, son collègue-chef du midi cuisine avec un égal talent et beaucoup de jugement.

Cinquante minutes, chronomètre en main. Le plaisir, lui, durera aussi longtemps qu’on se rappellera cet instant de partage offert par des gens honnêtes et sérieux.

La p’tite table

3872, rue Wellington, Verdun

(514) 761-2005

Ouvert midi et soir en semaine et en soirée du mercredi au lundi. Fermé le mardi. À midi, une vingtaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service. En soirée, comptez une cinquantaine de dollars. Plaisir égal, midi ou soir.