Les restaurants russes font partie de l’imaginaire collectif. Nous avons tous en tête des images, nourries par le cinéma et la littérature, de serveurs en costume national qui, exécutant une danse folklorique, la balalaïka à la main, servent le caviar à la louche, tandis que la vodka coule à flot. Tant pis s’il leur manque des mains… À la fin, le client émerge des brumes de l’ivresse pour encaisser une addition qui le laisse pantois.
Stéréotype sans fondement? Oui, si on en juge par La Caverne, petit établissement de la Côte-des-Neiges, à quelques pas de l’Université de Montréal. Ici, pas de toc ni de clinquant. Pas de grande cuisine non plus, mais des plats savoureux, qu’on dirait concoctés par une babouchka, une cuisine familiale qui fait du bien. On a l’impression de débarquer dans le sous-sol d’un cousin russe, négligé depuis trop longtemps.
Pourquoi la caverne? Parce que le resto est en quelque sorte sous terre et que les murs imitent approximativement l’aspect de la pierre. L’ambiance, elle, vient de la télé qui, satellites aidant, diffuse des émissions russes, sans oublier le canari qui s’égosille au milieu de conversations dans la langue de Tolstoï.
Difficile, par ailleurs, de se retrouver dans un long menu trilingue, où abondent les propositions pas toujours familières. Heureusement, le patron a de la patience à revendre. Pédagogue, il vous fera la nomenclature des plats, où vous reconnaîtrez au passage le nom d’anciennes républiques de l’URSS, comme la Géorgie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan ou peut-être l’Azerbaïdjan. Le plaisir, celui du voyage et du dépaysement, commence avant l’arrivée du premier plat.
Selon l’historique instructif qui coiffe le menu, le repas russe traditionnel comporte quatre services. Nous commençons donc par deux salades, l’oliviet et le "hareng sous le manteau". Nous avons affaire à deux préparations fraîches, qui donnent une impression de légèreté malgré une bonne dose de mayonnaise, la première composée de pommes de terre, de petits légumes et de saucisse, relevée à l’aneth, tandis que la seconde, présentée en "gâteau", est faite de hareng, évidemment, mais aussi de betteraves, d’où la couleur lie-de-vin du tout.
Suit le bortsch, à des années-lumière de ce qu’on attendait. La betterave est présente, mais la soupe, où on retrouve des légumes en morceaux, a un goût un peu aigre, déroutant mais délicieux.
En plat, la "troïka", trio de légumes (tomate, courgette et poivron vert) farcis à la viande. Les légumes sont tendres et, fait à souligner, conservent leur forme. La viande, légèrement parfumée, est, dirait-on, toujours la même, d’où une certaine monotonie à la longue. L’assiette s’accompagne de crème sure, un incontournable, et d’une sauce maison aux légumes.
Ces à-côtés, on les retrouve avec les varenikis et les pelmenis, pierogys (des pâtes façon tortellini) fourrés aux légumes ou aux fruits et à la viande respectivement. Incapables de trancher, nous optons pour une assiette (le plus petit des trois formats offerts) de l’une et de l’autre versions. Les bouchées de boeuf et de coriandre, goûteuses et bien maigres, explosent dans la bouche, à peine devancées, sur l’échelle du plaisir, par leurs petites soeurs aux champignons. Simplicité et savoir-faire: un régal.
La maison propose aussi des blinis salés ou sucrés à 1,25 $ chacun. Pas de fausses notes ici non plus. Les petites crêpes, fourrées au cottage dans un cas, aux cerises sures dans l’autre, clôturent en douceur une expérience enrichissante et, fait rare, peu coûteuse.
Impossible de passer sous silence le pain de seigle, délicieux, ni le kvas, la boisson traditionnelle qu’on en tire, "jus de chaussette" pour les uns, élixir pour les autres. À essayer à tout prix. La vodka, dont on propose quelques variétés déclinées en portions de 25 ml (pour goûter) à un litre (pour fêter sérieusement), est servie en carafon glacé dans des verres qui le sont aussi. À moins que vous ne préfériez l’excellente Zhiguli, bière à la russe fabriquée ici par la Brasserie du chaudron, étiquette en caractères cyrilliques à la clé.
Le service, étonnamment rapide (il faut dire qu’il n’y avait pas grand monde ce soir-là), est attentif et efficace.
Comme si ça ne suffisait pas, on vous offre la musique "live" le vendredi et le samedi en soirée.
5184 A, chemin de la Côte-des-Neiges, (514) 738-6555
De 30 à 40 $ pour deux, tout compris, avant les boissons.