Granby. Hormis pour les Granbyennes et les Granbyens, cette jolie municipalité des Cantons-de-l’Est peut n’évoquer qu’une chose: le Zoo. Avant, j’aimais aussi beaucoup la ville pour son célèbre "Chez Ben, on s’bourre la bedaine" où je retrouvais mes amis, amateurs de poutine. Avec le temps, on finit par se lasser des meilleures choses. Dialoguer avec les zèbres en suçotant du fromage en grains m’excite moins; je ne passe plus chez Ben que pour les souvenirs dégraissés.
On peut par contre aller à Granby pour un petit restaurant qui prend la tête d’affiche et devrait la conserver très longtemps; du moins si l’on apprécie les choses bien faites, les gens qui ont du coeur et les adresses à ajouter dans son élégant carnet des très bonnes tables du Québec
C’est une petite maison, sans prétentions et qui pourrait pourtant en avoir beaucoup. Dans une rue un peu anonyme de Granby, les propriétaires tiennent boutique de façon presque confidentielle. Il s’appelle Jean-Marc, elle, Agathe. Lui cuisine, elle travaille en salle. Il y a une douzaine d’années, ils ont fait un restaurant qui mérite amplement que l’on quitte Montréal pour aller redécouvrir combien on aime se mettre à table quand c’est aussi bon.
Cuisine de plaisirs, de patience, de minutie. Un peu comme en bijouterie, le produit fini est tellement beau qu’on se demande comment c’est possible de faire quelque chose d’aussi parfait avec si peu. Quelques onces d’or, une ou deux petites pierres précieuses et on se retrouve avec un Van Cleef & Arpels ou un Boucheron, épuré et pourtant éblouissant. La cuisine de Monsieur ressemble beaucoup à ça. Elle donne cette même impression d’étourdissement que celle éprouvée devant une pièce particulièrement réussie. En plus, chez lui, c’est bon et ça coûte infiniment moins cher.
Dans la série d’écrins que le dynamique bijoutier Cadurcien nous présenta ce soir-là, figuraient quelques-unes des plus belles pièces que vous trouverez sur le marché en ce moment.
En amuse-bouche, trois petites perles rondes, régulières, éclatantes: une bouchée de brandade, une autre de tomate relevée d’huile parfumée au basilic, une autre enfin proposant un escargot tendre relevé d’une pointe d’aneth. Dans les trois cas, fraîcheur, dynamisme et juste ce qu’il faut de grivoiserie décente pour titiller le client connaisseur.
Il faisait chaud. Pour rafraîchir les convives et calmer les ardeurs soulevées par ses amuse-bouches, le chef proposait un Trou Granbyen, version locale de son cousin normand, gelée de melon au porto. Là aussi, parfums solides, textures soyeuses et présence magnifique de tous les éléments de la composition.
En entrées, deux plats à base de pâtes: des ravioles de crevettes relevées de citron confit, aériennes, tendres et maritimes au-delà des espérances de tous les pêcheurs de ce monde, et des ravioli de canard. Pour ces derniers, le chef prépare une pâte maison d’une incroyable souplesse et du confit de canard désossé et haché auxquels il mêle une touche de purée de céleri-rave. Le tout est si parfaitement réussi qu’on se met à aimer le céleri-rave, légume pourtant anti-orgasmique s’il en est, et le canard, palmipède sympathique, mais au sex-appeal un peu limité.
Côte de veau biologique piémontais, fricassée de champignons et pot-au-feu de la mer, sauce fenouil avaient tous deux les qualités des grandes assiettes servies dans les grandes maisons. Ingrédients de la meilleure qualité, choix des combinaisons, sauces et fonds réussis à la perfection, mariages idéals des saveurs. Viande d’une tendreté incroyable épaulée par des petits champignons d’une récolte voisine dans le premier cas; crevettes, pétoncles et solides morceaux de saumon dans le second.
Des desserts? Oui, peut-être, pour les appétits les plus résistants; une crème brûlée ou un nougat glacé qui pourraient servir de modèles dans les écoles hôtelières. Ou encore une bavaroise de marrons accompagnée de glace au whisky, mais là, ça devient carrément du vice.
En plus de cuisiner comme une invention, cet homme-là est généreux comme seules savent l’être les vraies grandes toques. Dès le départ, pendant tout le repas et jusqu’aux au revoir. Émouvant, avec cette façon un peu particulière de vouloir se cacher derrière son joli béret, les mains pleines de truffes noires, le cabécou posé sur le comptoir à côté d’un verre de Cahors rocailleux de tant de Malbec.
Oui, oui, je sais, je n’ai pas mentionné une seule fois le nom du restaurant. C’est voulu, habituez-vous; des fois, quand ce sera très bon, je ne vous donnerai même pas l’adresse, juste quelques indices pour vous titiller et pour réduire l’affluence à venir, partagé que je suis entre le plaisir de vous faire plaisir et l’envie de garder l’endroit secret. Bon d’accord, pour aujourd’hui, là voici:
Faucheux
53-2, rue Dufferin
Granby (Québec)
(450) 777-2320
www.restaurantfaucheux.com
Ouvert à midi du mardi au vendredi et en soirée du mercredi au samedi. À midi, comptez une quarantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service. En soirée, ne comptez pas. Quand c’est aussi bon, parler de prix est une incongruité. Bon appétit!
Erratum
Dans la chronique Restos du numéro du 25 septembre, une erreur s’est glissée, laissant penser que ce restaurant ne valait pas le détour. Ce qui est exactement le contraire de ce que la phrase initiale ci-dessous voulait dire.
"L’appui de Saint-Joseph, patron des menuisiers, et de Saint Vincent, patron des vignerons, joints à une vigilance accrue en cuisine permettra à ce simple endroit de devenir une adresse. Compte tenu des efforts louables déployés par les propriétaires et du bon goût qu’ils manifestent, on NE doute que les trois éléments se manifestent rapidement."
Nos excuses aux lecteurs et aux restaurateurs.
Les Caves St-Joseph
4902, boulevard Saint-Laurent
(514) 842-1500
Ouvert de 17 h à 24 h du mardi au dimanche.