Restos / Bars

Val des Sens : Grande table d'un petit village

Audace et sûreté de main sont les deux principaux atouts du jeune chef qui, à quelques mètres du Musée ferroviaire, crée pour son plaisir et pour le vôtre ces plats d’un grand  raffinement.

Quelqu’un, du côté de Saint-Simon-les-Mines, nous en avait parlé. Nous nous étions donc arrêtés ici, un après-midi, rien que pour voir quel genre d’établissement portait un si joli nom. L’endroit nous avait plu, autant la grande terrasse arrière que la salle à manger confortable, chic et sans clinquant. Quant à la carte, elle nous avait paradoxalement mis l’eau à la bouche et asséché la gorge. L’occasion de revenir – pour y manger – s’est présentée lors du lancement, à Vallée-Jonction même, du dernier livre de René Jacob, L’Hiver à chaque soir, dont Françoise Faucher nous a lu de larges extraits. Puis ce fut une balade jusqu’à Saint-Georges, histoire de passer le temps jusqu’à l’heure du souper. Notre hâte! Puis, enfin, ce léger frémissement de nos mains ouvrant une nouvelle fois la carte, ce sourire que nous échangeons, complices, comme si nous nous disions "tant pis pour les absents". Mon amie brandit comme un trophée son verre de porto blanc (Burmester) et le choque doucement contre ma Boréale blonde en annonçant: "Croustillant de crevettes!" Trop faible, sans doute, elle omet de compléter par "crème de fenouil, salade de céleri-rave, crème moutarde, huile de coriandre et petites tomates confites". Mais c’est bien la composition de ce mets délicat, artistement présenté dans une coupe évasée. Émergeant aux trois quarts de la salade toute blanche, les crevettes, vêtues de pâte fine, évoquent des rouleaux impériaux. "À pleurer!" disons-nous en même temps. Ça vous jute du bonheur jusqu’aux commissures des lèvres. Votre regard dérape, fait encore le tour de la pièce, caresse en passant les plaques d’aluminium sculptées par Éric Coulombe, et s’échappe par la fenêtre en direction de la vallée. Une autre bouchée pour tenter d’inventorier les saveurs, déceler le goût léger du fenouil, la discrétion du poivre, la coriandre timide qui ne donne pourtant pas sa place. Une troisième? Non, car ma propre entrée mousse là, sous mes yeux. Il s’agit d’un cappuccino de moules et de crevettes. Mollusques et crustacés, cuits juste à point, abondent dans le jus aromatisé à la citronnelle et à l’huile de feuilles de capucines. Plus on approche du fond de la tasse, plus se manifeste la présence de poireaux et de lardons – et plus le goût se précise, s’amplifie, prêt à déferler comme une vague de sensations multiples. L’intuition ne m’a pas joué de vilain tour, comme cela se produit parfois. "Mais t’as failli changer d’idée à la dernière minute", rappelle ma compagne. Pour ne pas avouer, je me réfugie dans la carte que j’ai gardée près de moi et fais mine de relire les linguine au pesto et roquette, gigot d’agneau, saté de langoustines au canard fumé, figue noire au canard de Pékin… Arrive notre potage, en l’occurrence un velouté de céleri. Fougueux, le jeune chef, à en juger par sa façon de poivrer. À ma demande, on ajoute un peu de crème, mais le résultat est tout aussi volcanique. Mon amie, elle, jubile et commande déjà le verre de rouge argentin (un Malbec de Mendoza) dont elle arrosera son prochain plat. "Le meilleur est à venir", nous avait-on dit en réponse à nos commentaires sur les entrées. Mon "meilleur" a pour nom cou de cerf braisé, risotto aux champignons sauvages et petits légumes. Tant de gens se risquent à préparer du risotto (avec un résultat souvent approximatif) que je me méfie encore, malgré l’aspect sympa de ce qui m’est servi. Une bouchée, un coup de foudre. Crémeux comme il se doit, l’ensemble surprend par l’équilibre des assaisonnements; même le fromage n’y est pas excessif, contrairement à ce que je déplore souvent. Et les champignons sont là pour en nuancer le goût à l’infini – pleurotes, chanterelles et le "puissant" hygrophore des montagnes dont le chef n’a pas abusé. La viande? Parfaite, tendre, goûteuse et, en un sens, puissante, elle aussi, dans sa sauce dense, foncée. "Virile!" résume ma compagne en riant. Cet intermède ne la distrait pas longtemps de son magret de canard, sauce chocolat et kumquats confits, quinoa et petits légumes. En termes de "présence", nos sauces se ressemblent, également délicieuses et serrées. Dans la sienne, le goût du cacao évoque pour nous le souvenir de mets mexicains et brésiliens. "Et le quinoa est argentin, je crois", dit-elle en fronçant les sourcils. Je crois, moi aussi; je vérifierai. Le magret! Le temps qu’on nous l’apporte, il avait achevé sa cuisson dans l’assiette, tout à côté du quinoa – semblable, en plus léger, à la semoule d’un couscous. Il fait déjà noir, dehors. Je dis "déjà", mais cela fait trois heures que nous passons à faire durer le plaisir. Un dessert serait de trop. C’est pour cela que nous commandons une tarte au sucre maison.

Restaurant Val des Sens
403, boulevard J.-M. Rousseau
Vallée-Jonction (Québec)
Téléphone: (418) 253-5858
Table d’hôte: 22,95 à 32,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 123,54 $