Étais-je en avance ou mon invitée en retard, le fait est que je me retrouvais au comptoir de chez Holder, cette très chic et très achalandée brasserie, au sens noble du terme, du Vieux-Montréal, à siroter une Suze en rêvant au prochain pot-au-feu à préparer pour les amis. Rêver chez Holder demande une grande concentration; beaucoup d’interférences et d’intéressantes distractions sont proposées.
À commencer par le décor concocté par Luc Laporte, architecte prisé par les restaurateurs (L’Express, Leméac) et qui a réussi ici un autre beau tour de force. La salle immense et pleine d’échos est agréable à fréquenter, sans doute grâce aux boiseries, aux banquettes en cuir et aux grands miroirs et panneaux de cuivre habillant les murs. Les nouveaux propriétaires ont conservé le plancher d’origine; à défaut de savoir où on plantera sa fourchette, on sait dès le départ où on met les pieds.
Et bien sûr, il y a cet immense comptoir magnifique qui, à lui seul, vaudrait le détour si l’on n’était pas venu ici pour manger et porter une papille critique sur la cuisine. On peut tout de même apprécier le travail de moine des deux personnes essuyant méticuleusement les 492 bouteilles présentées derrière le bar. On reste coi devant tant d’abnégation.
Ouvert au printemps 2003, Holder est vite devenu un lieu privilégié de rencontre, tant pour les gens d’affaires du quartier à midi que pour notre belle faune nocturne, passé le couvre-feu. C’est toujours plein, animé, bruyant. Les serveurs pressent le pas, les plats arrivent à belle cadence et la bonne humeur règne sur l’ensemble des tables.
Peut-être moins sur la mienne cependant, ce soir où mon invitée s’est vu servir une cuisse de canard asséchée, accompagnée de pommes de terre – rôties, dixit la carte et très nettement desséchées, dixit mon évaluation.
Mais cette malheureuse expérience mise à part – une autre cuisse de canard, prise quelques jours avant, était tendre, juteuse, parfumée et parfaitement saisie – les visites chez Holder valent le déplacement et, au-delà du décor et du service assuré avec sérieux, on peut y goûter une cuisine qui se tient.
Le chef a des idées, la plupart très bonnes, et il réussit à proposer ses interprétations à une clientèle toujours plus nombreuse, preuve s’il en était besoin que cette table est bonne.
Son foie gras au torchon, par exemple, est digne de mention; présenté avec soin, goûteux, servi en portion généreuse, comme la majorité des plats ici. On ne s’offusque pas outre mesure de l’absence de la compote de poires annoncée au menu tant les figues confites qui accompagnaient le foie remplissaient parfaitement le rôle de conjointe.
En spécial du midi, la terrine de canard, façon rillettes, avait une belle texture et des accents de basse-cour de luxe. En fait, elle était si savoureuse que l’on aurait préféré la voir arriver sur la table avec un viril bocal de cornichons maison. Elle ne gagnait rien en effet de tous ses accompagnements – deux minuscules cornichons, quatre petits oignons surs, une cuillerée de carottes râpées, une autre d’oignons confits et quelques gouttes d’huile parfumée au curry – fort décoratifs mais ni nécessaires ni indispensables.
Le filet de morue, honnêtement appelée ici par son nom, est judicieusement enveloppé de pancetta, ce qui permet au plat de s’élever et, beaucoup moins judicieusement, accompagné de haricots blancs qui ramènent le pauvre poisson au fond de la barque.
La maison remporte l’onglet d’or pour son onglet grillé, accompagné de frites maison, aujourd’hui impeccables, ou de haricots verts fins au beurre si votre dernière visite médicale s’est mal passée. Vous pouvez même demander qu’il vous soit servi sans la réduction de vin rouge mais, là encore, comme disait Aragon, tout est affaire de décor.
La carte du Holder pèche peut-être, selon moi, par excès de générosité. Avec tant d’éléments proposés (près de 70 sur la carte régulière !), on peut craindre que la volonté des propriétaires de ratisser large ne nuise à l’identité de l’établissement. Les salles combles, affichées en permanence par Holder, tendent à prouver que je me trompe, comme cela m’arrive à l’occasion.
Holder
407, rue McGill, (514) 849-0333
Ouvert du lundi au vendredi de 11 h 30 à minuit sans interruption et les samedis et dimanches à partir de 17 h 30. À midi, comptez une soixantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service. En soirée, doublez.