Restos / Bars

Cavalli : Nappes branchées

Autant vous prévenir tout de suite, si vous aimez les petits bistros tout simples, attendez une prochaine chronique. Cavalli est une adresse, un état, un statement, comme disent les Ouzbeks. Cette bâtisse a déjà abrité un restaurant, immense par sa taille plus que par sa cuisine. Les choses changent et les faillites touchent les restaurants, aussi immenses soient-ils. Côté cuisine, ça a changé pour le mieux. Sur les ruines du Mondo Saks, quelques entrepreneurs dynamiques et hyper-chébrans ont installé Cavalli.

De la rue, c’est très impressionnant. Les clients installés aux premières tables sont tous beaux, jeunes et semblent sortis d’un magazine de mode tant leur plumage est irréprochablement différent, londonien, new-yorkais, ou, en tout cas, voulant s’en inspirer. Y obtenir une table relève de l’exploit, à moins de réserver sous le nom de Reeves (comme dans Keanu) ou Thurman (comme dans Uma). Et de fumer. J’avais réservé sous O’Connor, trouvant ça joli et distingué. Je me suis retrouvé dans le fond contre une colonne et, désireux de me fondre dans l’ambiance, me suis instantanément senti colon.

Le décor est magnifique. Osé, jeune, beau, riche. La musique reprend les pulsations caractéristiques Café Costes, Buddha Bar et autres loungitudes. La trame sonore est si bonne qu’à un certain moment, j’ai failli me lever pour danser avec ma colonne tant mon enthousiasme et mon caractère latin me donnent du mal quand ils sont ainsi titillés. Non, ce n’était pas le vin, j’avais pris un seul verre, Cabernet Sauvignon Woodridge (Mondavi), cru passe-partout vendu ici à 11,50 $, piochant dans une carte généreuse en vins italiens (118) et californiens (58). Les bouteilles italiennes se détaillent entre 35 $ et 1250 $ (Barbaresco Costa Russi d.o.c.g. 1996), les américaines, entre 55 $ et 550 $ (Opus One 1998). Dans les deux cas, quelques belles propositions pour moins de 100 $. Quand on aime, on ne compte pas.

Dans les assiettes, on sent que les cuisiniers disposent d’un généreux budget. En effet, si c’est cher, ça a au moins l’avantage d’être bon. Ou même très bon. À quelques exceptions près, comme cette salade amère avec bresaola, oignons frits et vinaigrette au poire (sic) et noix, prise pour voir à quoi peut ressembler une salade à 12,50 $. Évitez-la, j’ai payé pour vous. Par contre, sautez dans l’entrée de thon. Servi en élégants tartare et sashimi, le plat est une indication sans équivoque du talent des gens en charge des cuisines. Inventive et aguichante, l’assiette est aussi belle que savoureuse, touche de pomme et de wasabi, poivre noir et avocat.

Le même réconfort est offert par le bar rayé, solides tranches montées sur une petite purée moelleuse et quelques tranches de fenouil, touches d’olives noires et coeurs de zestes d’orange. Le poisson est traité avec discernement et apprêté avec un goût certain. Ou par cette solide côte de veau de lait, grillée à la perfection, accompagnée d’une fondue de chou de Savoie, de quelques pleurotes grillés (pleurotus eryngii pour les puristes), d’une touche de topinambour rôti et d’une petite salsa de tomates cerises jaunes. Viande parfaite, combinaison allumée, cuissons idéales.

Dans les deux cas, les portions sont généreuses sans être excessives et, plus tard en soirée, on ne ressentira pas la torpeur suivant les repas trop copieux. Dans la plupart des plats servis chez Cavalli, on trouve une belle créativité et cet esprit de fusion qui transcende une recette pour en faire une oeuvre.

Il en est de même pour les deux desserts pris ce soir-là. Tasse de mousse d’espresso (Illy, omniprésent à Montréal et un peu lassant par le fait même; on buvait quoi avant?), petite crème brûlée au thé à la bergamote et crème glacée au mascarpone sur une bouchée de cake moelleux. Les trois éléments se complètent parfaitement tout en brillant par leurs qualités respectives. Gâteau de mousse au pomme (re-sic) avec sorbet au cidre et beignet au pomme (re-re-sic). Mis à part ce beignet insignifiant et insipide, le tout est aérien et amusant.

Le service est assuré avec gentillesse, à défaut de gros bon sens (pourquoi systématiquement offrir du poivre moulu, par exemple, quand la cuisine déploie tant d’efforts?) et l’ambiance générale est on ne peut plus divertissante. Pour votre Porsche, ne vous inquiétez pas, il y a un service de voiturier à la porte. Quant à l’accès aux meilleures tables, je suggère que vous sortiez votre Lamborghini. Countach ou Murcielago, selon votre humeur.

Cavalli

2040, rue Peel

(514) 843-5100

Ouvert du lundi au vendredi de 11 h 30 à 3 h 00 et les samedis et dimanches de 17 h 30 à 23 h. À midi, comptez une soixantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service. En soirée, si vous faites très attention, vous pourrez vous en tirer en triplant. Mais est-ce le genre d’endroit où l’on va pour faire attention?