Il n’y a pas d’enseigne. Un numéro d’adresse postale très discret au-dessus de la porte. On pourrait passer devant et prendre BU pour un de ces très beaux endroits qui commencent à éclore un peu partout dans le Mile-End, redonnant vie au quartier. Pour vous aider, c’est boulevard Saint-Laurent, entre Fairmount et Saint-Viateur, côté est. Si vous le manquez, revenez sur vos pas, ça vaut vraiment le coup. De rouge ou de blanc. Entrez; non seulement c’est très beau, mais c’est également très bon.
J’ai bien pensé à ceux d’entre vous qui se plaignent parfois de mon manque d’enthousiasme pour les cartes de vins. Que voulez-vous, j’aime la Badoit ou autres semi-gazeuses et j’essaie la plupart du temps de ne pas doubler ou tripler mes additions pour cause de pinarderie. Je vous concède que vos exigences sont légitimes et promets de me forcer. Si, dans quelques années, vous me croisez l’air aviné, tirant un chariot plein de bébelles dans les rues du centre-ville, n’oubliez pas de me glisser une piécette.
BU s’annonce comme bar à vin. Par bonheur, les propriétaires accompagnent leurs vins de quelques plats, humbles et réussis. Et les clients sobres peuvent même s’y restaurer en arrosant leur repas d’eau minérale.
La pièce est très belle, très sobre. Du bois, des couleurs apaisantes, un long bar accueillant comme une bouillotte un soir d’hiver, de beaux verres frappés du logo de la maison dans lesquels on veut absolument faire glisser quelques grands crus. Au fond, la cuisine où l’on voit s’affairer les cheffes (néologisme, féminin de chef, ce n’est pas encore dans le dictionnaire mais ça viendra; l’Académie est toujours un peu plus lente au moment de la féminisation des titres). Ces deux dames, quoi qu’il en soit, préparent des petits plats fort divertissants. Plus que de grandes assiettes gastronomiques, ce sont des excuses pour pouvoir déguster les vins servis au verre par les jeunes gens passionnés qui ont ouvert BU. La simplicité prend ici tout son sens.
Le menu tient sur une page. Quand c’est bon, on peut épurer sans crainte. Une demi-douzaine d’amuse-bouche, dix hors-d’oeuvre, trois plats chauds, six desserts. Ce sont des plats familiaux – croquettes, petits cubes d’omelettes préparées selon l’humeur et les produits du marché, olives farcies et enrobées d’une panure légère et goûteuse. On sent dans ces assiettes beaucoup de sentiment. De nos jours, c’est plus que ce que l’on s’attend à trouver dans un restaurant. Mais BU en est un sans le prétendre.
Une belle assiette de bresaola, préparée avec de fines lamelles de viande des Grisons passée par l’Ouest de l’île et si bonne qu’on en vient à prier pour que ces gens-là ne puissent jamais se séparer de Montréal. Juste soulignée d’un filet d’huile d’olive et de quelques gouttes de citron, la viande suffirait à un repas de midi pris entre amis.
Les plats chauds changent tous les jours. À moins de 15 dollars, on comprend que les gens du quartier risquent d’élire domicile ici assez rapidement. Quelque risotto, un plat de pâtes, un panini. Plus simple que ça, tu déménages à San Gimignano et tu cuisines en regardant les tours à l’horizon.
La carte des vins est très, très intéressante. Patrick St-Vincent, co-propriétaire et chef pinardier dont on a pu apprécier le talent dans d’autres grandes maisons montréalaises, effectue ici un travail remarquable. Ses choix sont des invitations à l’élévation. Équilibre, intelligence, finesse. Des rouges italiens, des rouges français (rossi francesi! ils ont perdu la Coupe du monde, mais quel sens de l’humour), des blancs des deux côtés des Alpes, quelques bulles, et des petits vins doux à visiter impérativement. Deux recommandations personnelles: une bouteille de Sotanum 2000, Domaine des vins de Vienne, rouge richissime de la vallée du Rhône, et, au dessert, un petit verre de Torcolato de chez Maculan. Au sortir de ces deux bijoux, c’est l’allégresse totale. Les vins au verre sont proposés en deux formats, 3 ou 4 onces et, pour les plus liquoreux, en 2 onces, ce qui est amplement suffisant si l’on veut pouvoir repartir travailler un petit peu quand même.
Un des meilleurs tiramisus en ville – préparé par Maria, dont le nom est sur la liste des béatifications imminentes -, un espresso servi court et brûlant, comme il se doit, et juste couvert d’une petite mousse hyper-sexy. Une fois tous ces bonheurs additionnés, on est étonné de la modestie de la facture, compte tenu de la qualité de tout ce que l’on a goûté ici. On sort en sifflotant la vita é bella. On est heureux. Je le suis encore plus de vous en avoir parlé.
BU
5245, boulevard Saint-Laurent, (514) 276-0249
Ouvert du mardi au samedi de midi à 2 h. Comptez une quarantaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service.