Restos / Bars

Chez la Mère Michel : Le chat a vraiment tout emporté

Lorsque vient le moment d’aller au restaurant, on se fie souvent aux conseils d’un ami, aux recommandations d’un guide ou au "buzz", cette jolie expression serbo-croate désignant le tintamarre de relations publiques construit autour d’un endroit ou d’un événement pour attirer la clientèle. Pourquoi suis-je allé Chez la Mère Michel, Dieu seul le sait. Aucune des raisons évoquées ci-dessus en tout cas. Le hasard. Le très mauvais hasard. Comme celui qui dépose une peau de banane sur votre chemin et vous attend en ricanant malicieusement.

Je déteste les peaux de bananes et mon travail consiste, entre autres, à vous les signaler. Afin de vous éviter des moments pénibles.

Cette maison a reçu de nombreuses étoiles de plusieurs sources. Je me demande vraiment pourquoi. Oui, oui, il y a longtemps – et les nombreuses publicités jouent beaucoup sur le "Maison fondée en 1965…" – il y a eu ici un restaurant. Ne restent aujourd’hui que de vagues souvenirs. Et malheureusement, la critique porte sur la table d’aujourd’hui. Malheureusement pour moi qui déteste détester et malheureusement pour la maison qui sans doute trouvera quelques excuses et fera valoir l’achalandage pour conserver sa tête dans le sable.

Ce dernier détail irrite d’ailleurs autant que le reste. Avec une prestation générale si quelconque, comment se peut-il que l’on attire du monde? Pourquoi cette salle à manger au décor néo-vieillot est-elle occupée alors que tant d’autres petits établissements en ville, qui travaillent très bien et font preuve de créativité et de bon goût, ont du mal à attirer les clients? La publicité, sans doute. Les étoiles que l’on fait miroiter, sûrement. Le soir de mon passage, une vaste majorité des clients parlaient anglais et avaient un fort accent du sud de la frontière. Ces gens viennent de très loin dans l’espoir de déguster cette fameuse French cuisine dont on nous rebat les oreilles. On trouve surtout ici simulacre, ersatz et fausse représentation.

Simulacre de service d’abord. On a beau porter noeud papillon et chemise blanche, l’élégance et le sérieux du service vont bien au-delà de ces artifices. Et sur des points essentiels. Par exemple, quand il y a deux verres sur la table, l’eau, c’est dans le grand qu’elle va; le vin, le personnel est censé être capable de le servir sans en mettre partout sur la nappe. Et des erreurs comme celles-ci, il y en a eu toute la soirée.

Ersatz de carte ensuite et de cuisine, l’une allant avec l’autre. Un jeudi soir, fin novembre, à quelques jours de Noël, comment se peut-il qu’un établissement se prétendant si français et si gastronomique ne soit pas capable de servir du foie gras au client qui en demande? La carte indiquait pourtant "foie gras maison et sa gelée de sauternes". À 24 $, je voulais vraiment voir ce qu’on offrait. Première déception de la soirée: "Y en a plus!" revient nous dire le serveur, relax et souriant. "De la verdure de saison, vous en avez peut-être?" répond le client un peu déçu, mais pensant aux économies substantielles ainsi obtenues. Quoique à 7 $ pour un mesclun très ordinaire, quelques tranches de pomme et cinq tomates grelots jetées négligemment dans l’assiette, on se demande où est l’économie.

Que dire du braisé de lapin, échalotes confites et romarin à 28 $, à part que le mammifère très musclé devait avoir posé un minuscule brin de romarin sur son oreille dans sa fort lointaine jeunesse.

Rognons de veau flambés à l’armagnac pour 28 $. Ça, ça impressionne le touriste. Les rognons arrivent sur un chariot de service. On attend Versailles, Vatel, le grand jeu, quoi. La pompe s’arrêtera là. Fausse représentation. D’armagnac, pas de trace et "flambés" s’applique aux dollars que m’aura coûtés cette petite plaisanterie. Rien là-dedans pour impressionner le critique gastronomique. Pas plus d’ailleurs que les insignifiants accompagnements de ce plat-ci ou des autres.

La carte des vins est vaste mais généralement très chère. Et un verre d’un très quelconque jaja venu de la région de Narbonne, poussé par le personnel – prêt quelques minutes auparavant à nous vendre n’importe quoi pour accompagner nos plats, sans égard à l’accord, à nos choix, nos goûts, notre budget -, vendu 13 $ le verre, ça frise le scandale.

Plats approximatifs ou totalement manqués, embarrassante parodie de service, pseudo-décor refait récemment et déjà à refaire. La comédie d’erreurs qui caractérise un passage à cette ancienne bonne adresse constitue un record.

En quittant les lieux, on ne peut qu’être extrêmement gêné de savoir que les clients étrangers attirés ici repartiront chez eux avec cette affligeante idée de la cuisine, de la restauration et de Montréal. L’objectif de cette chronique-ci est de vous éviter de faire partie du lot des gastronomes qui ne pourront que sortir de cette table furieux.

Chez la Mère Michel
1209, rue Guy
(514) 934-0473
Ouvert en soirée du lundi au samedi et parfois à midi. Comptez une quarantaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service.