Terminer l’année sur une belle adresse; tous les ans, c’est la même chose, on espère vraiment ne pas tomber sur une adresse saucisson où les clients sont traités comme des éléments négligeables. Au lieu d’étoiles, on serait alors forcé de distribuer des bonnets d’âne. Pourtant, avant Noël, l’étoile est plus de circonstance que le bonnet d’âne, ou de renne à la rigueur. Cette année, on est chanceux, ce sont des étoiles; elles vont au restaurant Chez Noeser.
Monsieur Noeser, élégant cuisinier alsacien, a, parmi ses hauts faits, épousé une charmante Acadienne. Pour un Alsacien, c’est quand même une performance remarquable et tout à fait hors du commun; l’Alsacien moyen se marie en principe avec une Alsacienne, mal pris avec une Française et vraiment mal pris avec une Allemande. Monsieur Noeser cuisine donc et Madame fait tout le reste, comme dans la plupart des couples normaux quand l’homme cuisine; sauf que, quand l’homme est chef, les comptoirs sont rangés, les frigos sont remplis régulièrement, la vaisselle est lavée à mesure et rien ne traîne.
Monsieur Noeser et son épouse ont installé leur petit établissement sur les rives du Richelieu, il y a de cela une quinzaine d’années. Au fil des ans, on a progressivement agrandi la maison; une terrasse par-ci, une salle par-là. L’esprit général initial de la maison est cependant resté. Mélange bien dosé de cuisine familiale et de haute gastronomie. Quelques cigognes viennent bien se poser sur la cheminée de temps en temps mais, ce détail mis à part, Chez Noeser est un restaurant normal. Très agréable et normal. Très bon et normal.
C’est l’une de ces maisons où l’on accueille les clients avec un plaisir sincère. Le bel enthousiasme de la patronne et des autres membres de la famille travaillant ici contribue d’ailleurs au charme de l’endroit. En été, la terrasse sur les berges est magnifique, mais voulez-vous vraiment m’entendre parler du charme de la terrasse alors que le mercure a commencé à jouer au yoyo autour de -80 degrés Celsius? En hiver, Chez Noeser est très bien aussi. Rien de très compliqué, des petites pièces comme dans une maison – normal, puisque c’en est une -, des rideaux aux fenêtres, le doux son des casseroles et l’odeur rassurante des plats qui mijotent.
La maison fonctionne selon le principe des menus de quatre services (39,50 $) à huit services (62,50 $). Chacun y va selon son appétit et son budget, pas de pression de la part du personnel. Au gré des saisons, le chef change sa carte pour l’adapter à ce qu’il y a de meilleur. On devrait donner son adresse à certains grands établissements de Montréal, branchés ou débranchés, ça pourrait améliorer bien des assiettes.
On est en automne et le soir de notre passage, la carte annonçait huit choix: les délices du chasseur (terrine de caribou aux noix, fondant de faisan au madère, copeaux de gibier fumé); consommé de gibiers à plumes et ses quenelles; raviolis de cerf sauce aux champignons sauvages ou escalope de foie gras et son jus de gibier porto/chocolat (petit supplément de 9,50 $ ou 6,09 ?); granité à la Poire William; au choix: civet de sanglier à l’ancienne ou aiguillettes de canard, sauce aux raisins et porto, blanc de faisan aux morilles; feuilles d’automne vinaigrette aux noix; rouelle de chèvre rôtie aux amandes; gourmandise Saint-Hubert choco-marrons. Vous pouvez compter, ça paraît beaucoup, mais ça fait effectivement huit. Pour me sacrifier, j’ai pris de tout. J’ai pensé à vous et ai présumé que vous feriez la même chose. Et en retireriez un égal plaisir.
J’avais apporté de quoi prendre des notes scrupuleusement, mais je dois avouer qu’après l’escalope de foie gras et son jus de gibier porto/chocolat, les choses se sont gâtées. Tout était si parfaitement bon que mon stylo en fut affecté. Je conduisais, la confusion ne pouvait donc être causée par mon seul verre de Pommard autorisé. Le chef travaille très sérieusement. Des sauces impeccables, des cuissons et des combinaisons irréprochables; même les plats les plus susceptibles de sombrer dans le pathétique conservent une légèreté salvatrice. Seul le dessert n’était peut-être pas à la hauteur du reste, mais rendu là, on est généralement pris par une telle euphorie que mon commentaire relève de l’inutile beauté des choses dites en fin de repas.
Dans son menu de Noël 2003, le chef propose de petites plaisanteries comme de la hure de saumon au Riesling Hugel et des escalopes de foie gras de canard au Gewurztraminer; qui pourrait résister? Ah, les braves gens.
Post-scriptum: j’ai oublié de vous parler de la cave. Magnifique! La plus belle! En effet, vous apportez la ou les bouteilles de votre choix et on débouche pour vous. Quand c’est très bon, on décante même. Si vous hésitez sur tel ou tel choix, une conseillère est là pour vous aider. De bien braves gens, vous disais-je.
Chez Noeser
236, rue Champlain, Saint-Jean-sur-Richelieu
(450) 346-0811
Ouvert du jeudi au dimanche de 17 h 30 à 22 h; les lundi, mardi et mercredi: pour les réservations de groupe. Cinq formules allant de 39,50 $ pour 4 services à 62,50 $ pour 8 services. Trois choix d’eau minérale en bouteille.