Autant ouvrir l’année sur un bel endroit. Cher mais beau, et où l’on met dans nos assiettes des choses susceptibles de provoquer l’allégresse, même au lendemain de nos excès de fin d’année. Ristorante Brontë est tout cela. Et plus encore. On ne comprend pas trop pourquoi le "Ristorante", mais ça fait vachement bien dans une conversation.
Et puis l’intérieur est très, très beau. Un peu frais comme souvent la beauté peut l’être, rendue à ce stade, mais tout de même éblouissant. Alors que souvent le décor vient seulement en soutien du reste, chez Brontë, il n’en est rien. Et si la cuisine n’y était pas aussi bonne, on pourrait venir ici uniquement pour admirer la beauté des lieux. Douceur des tons, utilisation originale des matériaux, textures, volumes, perspectives. Un pur plaisir. D’autant plus que l’on se souvient du décor passablement saucisson du restaurant occupant jadis ces lieux.
Une fois remis de la surprise et de l’émoi causés par ce décor splendide, on apprécie également l’ambiance générale créée par l’accueil et le service, très professionnels. On sent que ces gens-là sont sérieux et possèdent une certaine expérience de la chose. Quand on est un peu habitué, on sent aussi que ça coûtera une petite galette. Mais, en poussant la porte de ce chic établissement, on savait qu’on n’était pas à la binerie du coin et qu’il y avait de fortes chances qu’on ne nous serve pas de la poutine. Allons-y donc le sourire aux lèvres, le portefeuille frétillant et la bonne humeur sous le bras. Si vous allez au restaurant en cherchant à économiser, ne vous infligez pas cette chronique.
Le menu est assez succinct pour qu’on en apprécie la qualité, tant dans la variété proposée que dans la recherche au niveau des plats. Sept entrées, huit plats principaux, quatre desserts. Dans les deux langues officielles, noms des chefs, sous-chefs et chef pâtissier en bas de page au cas où l’on voudrait transmettre fleurs ou pots à qui de droit. Ici aussi, on succombe à cette manie de coller des intitulés de plats si longs et si descriptifs que le client est essoufflé à leur seule lecture; comme c’est souvent le cas, ça permet de porter un œil plus critique en termes de création, à défaut d’ajouter au plaisir de savourer.
En plus de leur bon goût et de leurs talents culinaires, les gens de chez Brontë ont, de toute évidence, choisi des fournisseurs de qualité. Dans les six plats pris ce soir-là, aucun faux pas noté, aucune réserve émise quant à l’extrême fraîcheur des ingrédients. D’où le plaisir encore plus intense que l’on a à se trouver attablé ici pour déguster de petites plaisanteries comme le foie gras de canard, pomme Royal Gala, amandes épicées, brioche aux dattes, sauce "Henry of Pelham", ou le lapin braisé à l’huile d’olive, tarte aux échalotes caramélisées, "Fleur du Maquis". On est un peu circonspect devant les termes entre guillemets, mais on se sent plus intelligent devant l’air tout aussi dubitatif du serveur que l’on interroge à ce sujet.
La maîtrise des cuisiniers apparaît nettement dans les plats principaux comme le risotto aux betteraves jaunes, crustacés, crème fraîche, basilic (ouf!) et la morue noire d’Alaska, purée d’oignons Vidalia, tortellinis au chorizo, vinaigrette à l’artichaut (re-ouf!). Dans les deux cas, en effet, au-delà de la parfaite harmonie des éléments composant l’assiette, on est impressionné par le travail qui permet à chacune des composantes de l’œuvre de se distinguer. Les mariages sont bons, les portions généreuses, et tout concourt à rendre la soirée parfaite. Et cette morue, quel plaisir! Si c’est de la pisciculture, c’est de la pisciculture version très haut de gamme.
Au moment du fromage (12 $ l’assortiment) et des desserts, on hésite un peu, craignant de rompre le charme par quelque chose d’intempestif. Là non plus, pas de bémol, tout est parfait tant dans le pannetone, boudin à la vanille, poire rôtie, crème glacée au citron et romarin, que dans le strudel de banana (sic), raisins secs, nougat semifreddo, salad (re-sic) de banana (et re-re-sic). À part les fautes de frappe ou d’orthographe, mais ça se corrige assez facilement quand on veut.
Bercés par le joli fond musical – en sourdine, quel soulagement supplémentaire -, on en profite pour étudier en détail la carte des vins, courte elle aussi, mais très bien montée, avec des choix de crus intéressants, blancs ou rouges, vendus à des prix très civilisés. Quelques mousseux, quelques portos et quelques vins liquoreux complètent le tout. Les six choix de vins au verre sont par contre un peu chers, mais là aussi, c’est une tendance qui semble devenir une norme.
En sortant, on est heureux, repus. Jusqu’à ce que l’on vienne nous ponctionner 10 beaux dollars en échange des clefs de la voiture. Pourtant, on n’est pas à Toronto, ni dans un quartier à la mode de Montréal; ce manque de délicatesse – ou de simple gros bon sens – vient jeter une ombre sur une soirée autrement plutôt exceptionnelle.
Brontë
1800, rue Sherbrooke Ouest
(514) 934-1801
Ouvert en soirée du mardi au samedi. Préparez un billet brun et un billet rouge de notre beau dominion pour le souper de deux adultes consentants. Avec un verre de vin par personne, mais avant taxes et service.