Entre deux adresses prestigieuses, et donc forcément un peu dispendieuses, je vous ai cherché quelque chose de délicat côté porte-monnaie. Mon premier "deux pour un" de l’année du singe, en quelque sorte. En faisant le moindrement attention, on peut passer une journée avec deux repas pour une vingtaine de dollars en tout; après ça, allez dire que je suis snob ou insensible aux réalités économiques. Deux adresses, donc, où des gens simples préparent des choses simples et les servent en toute simplicité. Reposant.
À midi: Caffè Grazie Mille. Selon ma fille qui, comme la plupart des amies de son âge, semble développer un goût très sûr en termes de repérage de beaux gars, Franco Gattuso, le proprio, ressemble à Travolta. En plus beau. En plus jeune. Moi, je le trouve correct, un peu grande gueule comme mes copains italiens, mais cool quand même. On n’est même pas copains, je l’ai rencontré une ou deux fois et j’ai toujours payé mes repas. Je paie toujours mes repas de toute façon. Je disais ça comme ça, juste au cas où vous iriez vous imaginer des trucs sur la vie de chroniqueur gastronomique. Franco, il me fait penser à sa mère et à ses frères; il y a des gens comme ça, tu les regardes et tu ne les vois même pas: tu vois la photo de famille sépia au-dessus du buffet dans la cuisine. Sur la photo des Gattuso, au centre de l’encéphalogramme familial, il y a la nonna, celle du Piatto Della Nonna, les frères aussi qui tiennent l’autre Piatto, et Franco, qui fait le fou dans une vieille Alfa Roméo pour épater les filles.
Il a vieilli, il a lâché l’Alfa, il est parti faire le tour de l’Italie. C’était brillant comme idée. Tout ce qui brille n’est pas or, il est donc revenu dans le froid catastrophique de nos hivers. On en profite puisqu’il a ramené de Toscane l’envie d’ouvrir une petite maison pas compliquée, où il préparerait avec amour des paninis aussi beaux que ceux dégustés à San Gimignano ou à Sienne.
Caffè Grazie Mille est un petit local décoré avec goût et retenue, très italien contemporain. Illy est omniprésent, on ne s’en plaindra pas puisque c’est un très bon produit. Dans la lumière de ce coin de rue, une douzaine de places assises, un grand comptoir vitré derrière lequel sont exposés les paninis faits presque à l’instant. Un peu comme des œuvres d’art. La dizaine de variétés que Franco prépare chaque jour se classent vraiment dans cette catégorie. Toscano (viande de grison, roquette, fromage de chèvre), Sicilia (tomates, champignons, fromage de chèvre) ou autres interprétations, on reste toujours dans le plaisir de la simplicité: beaux choix de viandes et de garnitures, saisie impeccable sur la piastra (!), la plaque de grillade pour la touche finale, pain irréprochable, mariages astucieux. Les huiles d’olive et les poivrons grillés ne coulent pas sur les doigts, comme c’est le cas dans tant d’autres établissements servant des ersatz de paninis chez nous. On finit le repas avec un espresso. Serré ou allongé, bien travaillé, le café donne toujours son meilleur. Il est facturé ici à une fraction du prix des autres points de vente de la marque en ville. Comme la plupart des choses servies à cette adresse, d’ailleurs.
Caffè Grazie Mille
58, rue Fairmount (angle Clark)
Pas de téléphone (!)
Ouvert tous les jours de 8 h 30 à 18 h. Aux beaux jours, ouvert jusqu’à 22 h. Une dizaine de dollars suffisent à satisfaire appétit et curiosité.
En soirée: CHI. Petit local décoré sobrement, très zen, accueil plein de douceur de Marie, la patronne, fond musical lounge, comptoir à sushis derrière lequel travaille consciencieusement un imposant Asiatique: le premier contact avec CHI laisse présager de bonnes choses. Qui viendront effectivement. Un coup d’œil à la carte permet d’envisager que l’on s’en tire sans trop de dégâts, côté tirelire.
Prenons quelques plats au hasard: soupe lait de coco et crevettes (4 $), salade de thon sashimi et vinaigrette miso (6 $), rouleaux impériaux (4 $), poulet grillé aux feuilles de lime (9 $). Dans tous les cas, pour quelques dollars, on sert de fort jolies choses, bien préparées et présentées avec goût. Avec ses crevettes tendres et goûteuses et son bouillon à la fois riche et léger, cette soupe, par exemple, aurait pu à elle seule justifier une visite ici. Les rouleaux, présentés dans la version plus courte privilégiée par de plus en plus d’établissements, étaient croustillants à souhait. Parfumé et relevé avec discernement, le poulet grillé peut constituer un plat unique tant la portion est généreuse. Sans être extraordinaires, les quelques sushis dégustés ici étaient tout à fait convenables et respectaient les attentes en termes de fraîcheur et de divertissement. L’appellation CHI Cuisine vietnamienne + Sushi bar n’est pas de la fausse représentation. Tout au long du repas, le service est assuré avec beaucoup de gentillesse et les théières sont remplies avant que l’on ait eu besoin de le demander.
Intrigué par le rapport qualité-prix, j’ai visité incognito cet endroit trois fois: la première, seul; la seconde, avec un groupe d’une dizaine de personnes; la troisième, avec des enfants. La même amabilité est de rigueur, la qualité de la cuisine aussi et, si le service est un peu plus lent lorsque les tablées sont plus imposantes, l’attente reste toujours dans les limites du raisonnable.
CHI est sans aucun doute l’une de ces adresses à inscrire sur la courte liste des établissements où il fait bon aller lorsque l’on a des enfants et que l’on veut sortir des sentiers battus. Et pas seulement parce que les prix sont très raisonnables, mais aussi pour cette grande sollicitude qui entoure les échanges et que l’on trouve rarement au restaurant quand on y arrive avec deux ou trois petits, aussi bien élevés soient-ils. Attitude non culpabilisante est, je crois, le terme consacré.
CHI
5308, boulevard Saint-Laurent
(514) 276-8743
Ouvert tous les soirs (jusqu’à 22 h du dimanche au mercredi et jusqu’à 23 h les autres jours) et à midi le mercredi, jeudi et vendredi. Possibilité de se sustenter pour une dizaine de dollars par personne.