Dans notre combat héroïque contre les éléments, nous avons tous des trucs plus ou moins originaux qui nous permettent de traverser les longues semaines de catastrophe climatique avec le sourire. On skie, on glisse, on lit au coin du feu, on fait de la politique. Pour ma part, je m’abonne aux cuisines ensoleillées. Celle des Rites berbères brille depuis longtemps dans mon calepin thérapeutique.
Oubliez les chics restos, les ambiances branchées, les looks d’enfer. Ici, presque tout se passe dans l’assiette. Ça tombe bien, n’était-ce pas ce pourquoi nous étions venus? Côté décor, donc, l’établissement de Mohand Yahiaoui est assez minimaliste: deux salles, une avec fumée, une sans, quelques photos de là-bas affichées sur les murs. En fond musical, Cheb Mami, Khaled, Matoub Lounès ou Idir, copains du propriétaire, Berbères comme lui, sortis de Kabylie pour accomplir de grandes choses. Mohand, lui, c’est la cuisine.
Cuisine toute de simplicité et d’authenticité. Aux Rites berbères, pas de fioritures, pas de tricheries. La carte est presque dépouillée, sept entrées, quatre soupes, une dizaine de couscous, deux ou trois plats maison, quatre ou cinq desserts. On se dit que c’est un peu succinct. On sortira pourtant de table repu, heureux, réconcilié avec la vie et riant des éléments qui ont continué de se déchaîner à l’extérieur.
En entrées, sardines grillées avec délicatesse, pois chiches relevés de cumin et bricks à l’œuf – artistiquement roulés et que l’on a fait frire dans une poêle avec de l’huile bien chaude jusqu’à ce que les cigares soient dorés – annoncent de grands moments. Si vous hésitez, succombez à cette jolie purée de poivrons verts et rouges, tomates, œufs, ail et oignon, relevée d’épices maison et appelée ici tchekchouka (tchoutchouka à Alger, chakchouka à Tunis). Resteront dans votre palais des accents soyeux de paprika et d’huile d’olive. Si vous hésitez encore, craquez pour la chorba, soupe légèrement tomatée à base de bouillon de mouton. Dans l’assiette fumante, céleri, carotte, courgette, poivron et pomme de terre coupés en dés sont parfumés de coriandre fraîche. Le tout est illuminé de cannelle, de muscade, de clou de girofle et de poivre gris qui constituent le quatre-épices requis pour préparer une vraie chorba. Résistez un peu à la tentation car c’est ce qui vient qui, selon moi, vaut vraiment le déplacement.
Ce qui fait la beauté des couscous, c’est leur côté rudimentaire. Dans tous les leurs, M. Yahiaoui et sa charmante épouse Aïcha offrent certainement la meilleure semoule en ville. Oui, oui, je sais qu’elle s’appelle Sylvie, mais je trouve que pour mon histoire, Aïcha, ça fait plus exotique; et puis, c’est moi qui écris, et pour moi, Aïcha rime avec sensualité, gourmandise, danse du ventre, tous éléments qui vont de pair avec le couscous.
Le couscous, c’est la semoule, le plat a pris plus tard le même nom. Cette semoule de blé dur peut être accompagnée de poulet, d’agneau en côtelettes, morceaux de jarret ou brochettes, ou de merguez. Vient également sur la table un grand plat rempli de légumes et de bouillon. Aux Rites berbères, cette semoule est si légère et si fine qu’elle semble flotter dans l’assiette. On en prend une petite pincée, comme ça, pour voir. Et là, paf! on réalise qu’on s’est fait avoir pendant des années à manger des trucs ordinaires alors que ça, c’est quasiment divin. Parfumé, moelleux, irrésistible, à la limite du supportable tant c’est simplement bon.
Entendons-nous, ça a l’air d’être juste de la semoule, et pourtant c’est tout sauf ça. Ce sont la voix, les yeux et les mains aimantes de la maman du patron qui lui a montré comment faire; ce sont les reflets dorés du soleil sur les murs de Tigzirt sa ville natale, c’est le parfum entêtant des herbes dans les collines, c’est la rumeur du marché sur la place, c’est le bleu de la Méditerranée tout autour. Au-dessus des plats en terre cuite, flottent des parfums de coriandre, de cumin, de paprika, de laurier et de clous de girofle.
Les desserts sont là pour faire plaisir, sans prétention, dattes farcies aux amandes ou baklava maison. Aux beaux jours, Les Rites berbères offrent l’un des petits jardins intérieurs les plus rafraîchissants en ville. En hiver, le thé à la menthe brûlant réchauffe le corps et le cœur. Quelle que soit la saison, on quitte les lieux l’estomac plein, le cœur léger et la tête remplie de chansons berbères, A Vava inouva, la mélopée d’Idir, tournant en boucle dans notre mémoire.
Les Rites berbères
4697, rue de Bullion (au coin de Villeneuve)
(514) 844-7863
Ouvert du mardi au dimanche de 17 h à 23 h. Entrées et soupes: 5 $, plats principaux: de 11 $ à 19,95 $, desserts: 5 $. Pour le vin, apportez ce que vous voulez. Si c’est du très bon, vous le saurez en voyant l’air épanoui du patron quand il fera sauter le bouchon avec le doigté d’un sommelier. Si vous lui en offrez un petit verre, arrangez-vous pour le faire pendant qu’Aïcha est occupée en cuisine.
50 rue jacques -cartier