Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, il n’y a rien de plus agréable qu’un restaurant qui m’oblige d’abord à consulter un atlas, histoire de savoir vers où je m’envole pour la soirée. Et je ne parle pas du plan que d’éventuels curieux de l’extérieur de Verdun devront peut-être consulter pour trouver Les Délices de l’île Maurice sur une rue perpendiculaire à la rue Wellington.
L’île Maurice, Maurice pour les intimes, est, comme son nom l’indique en partie, une île tropicale (au moment où j’écris ces lignes, il y fait 29 °C, sous un ciel partiellement ensoleillé) située au large de Madagascar, dans l’océan Indien. Tour à tour occupée par les Hollandais, les Français et les Britanniques, l’île, où l’on retrouve aussi d’importantes communautés chinoise et indienne, est donc un carrefour d’influences, l’incarnation du métissage qui caractérise notre époque. On la connaît aussi pour le dodo, oiseau de légende dont la colonisation a entraîné la disparition au 17e siècle. L’anglais en est la langue officielle, mais les habitants, qui comprennent mieux le français, parlent créole! Ça vous rappelle quelque chose?
À Verdun, Les Délices de l’île Maurice (jolie allitération) se passent de présentation, et la maison se fait d’ailleurs discrète. La décoration rétro de la petite salle rappelle les années 50: chaises en vinyle, formica sur les tables, couleurs vives.
Ici, on fait tout pour que vous oubliiez que vous êtes au restaurant: on vous reçoit à la bonne franquette, en ami. Donc, pas de menu. Vous vous assoyez et on vous apporte aussitôt, en guise d’amuse-bouche, du chou passé à la grande friture, qui rappelle un peu les pakoras indiens et que vous arrosez des sauces déposées sur la table.
Viennent ensuite les entrées. Frite, l’aubergine a la fâcheuse manie d’être un peu huileuse, et celle-ci ne fait pas exception à la règle, mais les tranches généreuses, qu’on accompagne des mêmes sauces, sont servies fondantes, bien chaudes. Le poulet frit, lui, ne donne pas l’impression de l’avoir été, en raison peut-être de l’absence de panure. Servis sur l’os, les morceaux, agréables, même s’ils font travailler un peu nos mâchoires paresseuses, sont nappés de sauce soja et recouverts de nouilles séchées. Les saucisses rappellent à s’y méprendre celles qu’on sert ici au déjeuner, à ceci près qu’on les a parsemées de nouilles séchées et d’oignons verts.
Après les préliminaires, le patron sort de sa cuisine pour vous demander sans cérémonie ce que vous voulez manger. Les propositions sont nombreuses, tant du côté des produits de la mer que des viandes. Quant à l’apprêt, à vous de choisir (sauce cajun, créole, tomate, safran, cari, beurre à l’ail). Indécis? Remettez-vous-en à la recommandation du chef.
Les plats, accompagnés de riz blanc et de quelques feuilles de laitue, déçoivent, à l’exception du porc au miel, au bon goût sucré qui fait penser aux côtes levées à la chinoise. Les sauces, servies avec prodigalité, manquent de mordant. On les aurait souhaitées vives, elles sont au contraire ternes, éteintes, tant du côté des crevettes sauce tomate que de l’agneau créole, dont la viande, assez grasse, fond cependant dans la bouche. Même défaut chez la pieuvre au cari, au goût légèrement âcre. La difficulté vient peut-être de l’idée, au fond discutable, voulant que tout, des calmars à la langue de bœuf, du filet de truite au boudin, s’apprête à toutes les sauces.
On s’en veut de chipoter, tant les intentions sont louables. Pensez donc! Le patron nourrit à lui seul un restaurant bondé, avec l’aide d’un seul serveur aux manières un peu sèches, plutôt avare d’information. Et les clients, qui n’hésitent pas à faire la queue pour s’assurer une place (la maison n’accepte pas les réservations), semblent enchantés. Il faut dire qu’on soupe aux Délices pour une chanson (moins de 30 dollars pour deux, tout compris, argent comptant seulement) et qu’on peut y apporter son vin – la cuisine s’y prête bien. Au fond, les réserves du soussigné feront peut-être l’affaire de tout le monde.
Au dessert, on fait la joie des enfants en leur apportant quelques friandises miniatures, comme à l’Halloween, et en déposant sur la table un gros récipient rempli de "jujubes".
On n’en est pas moins en présence d’un établissement comme il ne s’en fait plus, donc rare et précieux, à l’image du dodo, animal mythique de l’île Maurice, hélas disparu à jamais.
Bémol: service un peu brusque, plats manquant de vivacité.
Dièse: ambiance unique, rapport qualité-prix alléchant.
Les Délices de l’île Maurice
272, rue Hickson, à Verdun
(514) 768-6023