Restos / Bars

Festival Montréal en lumière: le bilan : Les lumières du festival

Depuis que le Festival Montréal en lumière existe, février est un mois difficile pour les amateurs de bonnes tables. Beaucoup d’activités, de chefs invités, de menus spéciaux, de très bonnes affaires. Beaucoup aussi de délires culinaires, de superbes exagérations, de tentations irrésistibles. Il y a le sport extrême; ça, c’est la bouffe extrême. C’est aussi le moment de l’année où j’aimerais vraiment emmener avec moi les quelques amis qui me bassinent avec la chance que j’ai d’aller dans tous ces bons restaurants, de manger aux meilleures tables, et blablabla. J’aimerais beaucoup les voir au lever du 10e jour, l’œil torve, la langue chargée, la migraine bien installée entre les deux oreilles, l’estomac surchargé, quand je leur annoncerais d’un ton enjoué: "Encore un petit effort, il nous reste juste un excellent souper avec fois gras poêlé, tourte aux huit chocolats et vins fins." Au petit-déjeuner, c’est le test ultime.

Au-delà du fait que la plupart des établissements participant à cet événement ont offert de véritables cadeaux à leurs clients durant cette période, quelques lumières ont brillé avec une intensité plus vive et leur clarté nous réchauffera certainement jusqu’au retour des beaux jours. Ceux dont les noms n’apparaissent pas ici ne m’en voudront pas; ils savent combien j’estime leur travail, du 1er janvier au 31 décembre.

En toute première place ex æquo, brillant de tous leurs feux sur le grand podium central, figurent donc les tables suivantes. Et les personnes qui s’y sont particulièrement distinguées. Et quelques plats ou exploits qui mériteraient, selon moi, de passer à la postérité.

Chez Byblos, le petit café, Madame Hémela – qui a perdu une étoile dans le Guide Restos Voir 2004, nonobstant le fait que je l’ai personnellement en très haute estime, mais une grille d’évaluation objective et détaillée, ça fonctionne pour tout le monde… – avait déroulé quelques tapis, de soie et persans bien entendu. Avec son habituelle bonne humeur et son sens peu commun de l’hospitalité, elle y servait de petits plats, persans également, tout à fait remarquables. Pour 9,99 $! Comment peut-on ne pas être persan?

Chez Leméac, en notre bon arrondissement d’Outremont, Richard Bastien, chef exécutif de l’endroit, recevait David Hawksworth, chef de Vancouver où il tient le très beau restaurant West. En salle autant qu’en cuisine, Monsieur Bastien s’entoure de jeunes gens talentueux, vaillants et dévoués. Geneviève Beaudoin, sommelière de son état, est de ce nombre. Ce soir-là, elle récolta le Grand Tire-Bouchon d’Or accordé par la maison Tastet & Cie pour son choix de Chorey-les-Beaune 2000, de Catherine et Claude Maréchal, en accompagnement d’une morue charbonnière au saké, essences de shiitakes et crabe de Tofino. Moment de belle inspiration.

Anise est l’un de ces trois ou quatre restaurants montréalais où l’on aime emmener des amis gastronomes de passage car on sait que l’on y sera toujours épatés. Allumée, créative et généreuse, Madame Bassoul, lumineuse chef de l’endroit, est l’une de ces chefs qui flottent au-dessus de leurs marmites. Son menu intitulé "La route des épices" et son autre menu conçu en l’honneur des magnifiques Côte-Rôtie, Condrieu et Saint-Joseph d’Yves Cuilleron étaient de véritables chefs-d’œuvre. Extase et re-extase.

Chez L’Épicier, Michael Schlow du Radius à Boston était invité par le chef Laurent Godbout. En cuisine, ces deux-là forment une paire d’une exceptionnelle qualité. Tout le repas fut un modèle d’équilibre, de délicatesse et d’à-propos gastronomique. Sept services impeccables et, en entrée, un thon, concombre et vinaigrette aux agrumes si splendide dans son dépouillement qu’il restera longtemps en mémoire.

Au Lutétia, Éric Gonzalez accueillait Nicolas Le Bec. Deux gentlemen en cuisine. Au-delà du plaisir que l’on a toujours de rencontrer un étoilé Michelin, on est rassurés de constater – si besoin était – que, même sans étoiles Michelin, question cuisine, monsieur Gonzalez et son compère avignonnais Gilles Herzog n’ont rien à envier à qui que ce soit. Et loin s’en faut.

Le restaurant de Martin Picard ne s’appelle pas pour rien Au pied de cochon. Avant la messe du dimanche, notre grand boulimique de l’avenue Duluth avait convié quelques amis à un "petit-déjeuner". Dès 10 heures du matin, en tutu rose sur le pas de la porte, il attendait ses invités. Une centaine de personnes, dont une vingtaine de chefs, et parmi les meilleurs en ville, avaient répondu à l’appel du grand goret. Dans les verres de tout ce beau monde, une verticale de sept Morgon et de petites choses, légères et délicates, comme une terrine de foie gras de la Mère Brazier, des quenelles de brochet sauce Nantua et une daube de joues et queue de cochon. Vers 15 h 30, on quitte la table et on va faire une petite sieste pour pouvoir se remettre à table pour le souper. Ces braves gens ont une santé époustouflante. Martin rit. Je suis admiratif.

Si besoin est, je vous recommande pour quelques jours la tisane d’artichaut qui facilite la sécrétion biliaire. Et le pamplemousse en plat principal. Dégraissé, ça va sans dire.