Restos / Bars

À l’os : L'os, la moelle et tout le reste

Les jeunes restaurateurs ne cessent d’impressionner par leur imagination. Nommer son établissement "À l’os" demande par exemple une certaine témérité et démontre un bel optimisme. En ces temps d’inquiétude vache follesque et de budgets familiaux squelettiques, mettre au menu de petites choses comme un "carré de caribou sauvage laqué et sa réduction de gibier à l’infusion de cardamome" pour 38 dollars relève de l’audace. Le temps dira si cet os-là est un gros fémur à longue destinée comme ceux des dinosaures exposés au Musée d’histoire naturelle de New York ou une simple phalangette croquée par Idéfix.

Le restaurant a l’air blanc. Il ne l’est pas. Ou seulement si l’on se fie aux apparences. Et ces premières impressions sont légions ici. Ainsi, ça semble cher, jusqu’à ce que l’on vienne prendre un repas de midi parfait pour une petite quinzaine de dollars. Ça semble alors bon marché, jusqu’à ce que l’on revienne souper et que l’addition parte dans la stratosphère. Ça paraît très bon enfant, jusqu’à ce que l’on découvre que midi et soir le service est assuré par des gens compétents, pleins de sollicitude, souriants et efficaces.

Au-delà des impressions laissées par la couleur du papier peint, par la très belle carte de visite, œuvre d’un artiste particulièrement créatif, ou par le look général de l’endroit, il y a dans ce petit restaurant plusieurs réalités très rassurantes. Celle par exemple d’avoir affaire à des gens qui en cuisine travaillent avec sérieux et générosité. Le plat emblématique de la maison, ce filet mignon à l’os grillé est en effet une pièce de viande pantagruélique, cuite à la perfection, servie dressée tel un mât sur l’assiette et accompagnée d’une savoureuse réduction de veau au porto. Pour qui aime la viande, ce plat est un pur moment de bonheur.

En entrées, des plats aussi divers qu’une pomme de ris de veau ou un mélange du jardin sont traités avec la même application. Dans le premier cas, les ris sont judicieusement accompagnés d’un succulent mélange de champignons sauvages et le mesclun de luxe de quelques feuilles d’endives et d’une tomate cerise – coupée en deux certes, ce qui la fait paraître plus multiple mais quand même, n’avais-je pas lu tomateS sur le menu? Deux vinaigrettes sont proposées, l’une au vinaigre balsamique, l’autre au vinaigre à la framboise, preuve de délicatesse de la part des patrons, confirmée par la retenue avec laquelle elles habillent l’assiette. C’est agréable de voir de temps à autre une salade qui n’est pas noyée.

Comme il est également plaisant de voir des cuisiniers – toqués de blanc en plus et plutôt beaux bonhommes derrière leur comptoir, au vu et au su de tous les clients puisque la cuisine est littéralement intégrée à la salle – respecter à la lettre les demandes de ces clients en termes de cuisson. À l’os, bleu est réellement bleu et bien cuit sera bien cuit. Ça paraît simple comme ça et pourtant.

Quelques traits de génie comme cette magnifique émulsion de lime, kéfir et lait de coco qui accompagne le steak de thon en croûte d’épices, ou cette tout aussi jouissive purée de pommes de terre accompagnant le saumon grillé et que l’on avait enrichie de chair de crabe. Moments de plaisirs simples et intenses.

Tant les propriétaires que les employés ont vraiment à cœur d’offrir un moment d’exception aux clients venus passer quelques heures à leur table. Les premiers avec de petites choses comme cette belle carte des eaux qui propose une douzaine (13 exactement) de sortes, dont la Saint-Georges au texte descriptif soutenant qu’elle "jaillit en Corse…"; désopilante antinomie, pour qui sait combien les Corses jaillissent peu, à part au moment de la sieste.

Au dessert, baba au rhum très imbibé et fondant au chocolat avec crème glacée à la vanille constituent de belles possibilités pour les gourmands. Les vrais connaisseurs préfèreront la crème caramel, absolument délicieuse, offerte le midi, aux crèmes brûlées plutôt quelconques vendues le soir.

Les prix pratiqués ici peuvent sembler prohibitifs, mais si l’on considère la qualité des mets servis, ils sont plutôt raisonnables. Des entrées de 7 à 14 $, des poissons et des viandes entre 19 et 38 $, des accompagnements pour moins de 10 $ et des choix de fromages entre 9 et 15 $. Quand tout est bon, on est prêt à sortir quelques sous supplémentaires. Une certaine vigilance vous permettra cependant de ne pas laisser votre facture s’envoler hors de portée.

Le réel désir de bien faire de ces braves gens se manifeste longtemps avant de s’asseoir. Ainsi, tout passant s’arrêtant quelques instants devant la porte pour consulter le menu se voit abordé par le propriétaire souriant qui lui remet une carte de visite. À bon vin point d’enseigne, annonçait le dicton; À l’os n’en a effectivement pas et n’en a aucun besoin.

À l’os
5207, boulevard Saint-Laurent
Téléphone: (514) 270-7055

Ouvert tous les soirs en semaine et, à midi, du mardi au vendredi. À midi, une quinzaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. Bon rapport qualité prix? Excellent. Une soixantaine de dollars en soirée. Cher? Oui.