Rien de plus authentique que la vieille scie à bûches accrochée au mur de la première salle à manger; on peut en dire autant des bergères rouges, de la peau de renard jetée sur l’un des dossiers, du drapeau des Patriotes qui fait face au fleurdelisé, non loin du foyer qui, lui, détonne un peu. Dans la seconde salle, on sourit à la vue des fils électriques tendus à quelque distance du plafond, bien arrimés à leurs vieux isolateurs de porcelaine blanche. Chemises, blouses et autres vêtements pendent des cordes à linge. Sur les murs de brique ou les cloisons de bois, l’artiste Martin Thivierge expose en orgies de couleurs ses aquarelles, ses Études de taches, ses tableaux pour le moins déroutants. Un tableau explicite, qui n’est pas de lui, se distingue nettement des autres: râble de lapin, ragoût de cerf au crémant de pommes… De quoi nous ramener à la principale raison de notre présence ici, à la carte posée devant nous et au petit écriteau, sur la table, détaillant le menu du jour en termes de potage du moment, ciabatta croque-poulet, combo pâte et pizza, rigatoni au féta et tomates séchées, pizza du patriote (fromage de chèvre, mozzarella, saucisse de caribou, tomates, etc.). En plus de la "tourtière du pays de Maria Chapdelaine", de l’"assiette Ti-Pet", des pâtés à la viande, du ragoût de pattes et boulettes et du pâté de campagne, on vous propose aussi quelques variations sur des thèmes connus – les fèves au lard au faisan ou au lièvre, par exemple. Dans les haut-parleurs, les Charbonniers de l’enfer s’en donnent à cœur joie quand nous choquons nos verres de bière, mon invitée et moi – ma Blanche de Chambly contre une Patriote brune à la mélasse, brassée par La Barberie. Mon entrée vaut un repas: terrine de chevreuil aux cèpes, soit une assiette ponctuée d’avelines, d’abricots marinés (sans acidité aucune) et de pruneaux luisants. De larges morceaux de cèpes nuancent le rose appétissant d’une terrine, dont le goût surprend par sa finesse. Souvent, quand on vous parle d’"antan", on vous prépare à quelque chose d’un peu brut. Me voici donc rassuré sur ce point. Et rassurée aussi mon invitée, qui habite dans les parages, connaît bien l’établissement et me le fait découvrir aujourd’hui. "Il ne te reste pas beaucoup de temps, si tu veux y goûter…" En effet, sa soupe aux pois ne sera bientôt plus qu’un souvenir; je ne me fais donc pas prier. Cette soupe maison, saine et sapide, ni trop épaisse ni trop claire, je l’avais vu puiser, à quelques pas de nous, dans une grande et vénérable soupière… Maintenant, sur fond de reels et de violoneux, nous bavardons de tout et de rien, mais surtout de musique traditionnelle, car j’ai en face de moi une passionnée – qui m’apprend, entre autres, qu’une vraie fête rétro a lieu ici chaque vendredi soir, chacun y allant de son refrain ou de son couplet, tandis que les enfants s’égaillent dans une pièce attenante parmi les livres et les cahiers, les coussins, les crayons de couleur… Colossales, ces assiettes! Dans chacune trône une montagne de grosses frites dorées et une salade, non moins généreuse, mouillée de vinaigrette. Au milieu de tout cela, un caquelon brûlant. Mon invitée a droit à un filet de doré aux herbes salées. La chair est fine, bien citronnée, bien assaisonnée, mais un peu trop huileuse. J’avais choisi, quant à moi, "la" saucisse de caribou; on m’en sert deux, costaudes et, dirais-je, gonflées à bloc. Elles s’accompagnent d’une délicieuse sauce aux pommes et à la bière. Imaginez tout cela poivré avec… obstination! Alors que la sauce s’emploie à compenser la sécheresse des saucisses, les bouchées de pomme rappliquent à intervalles réguliers pour atténuer le brûlant du poivre… Combat épique sur une langue en feu! J’ai sûrement le sourire crispé. Mon invitée, en tout cas, n’en dit rien. Après avoir un peu hésité, elle accepte d’intervenir. Je transfère de son côté la saucisse encore intacte et la regarde faire. Malgré tout, nos assiettes ne sont pas complètement vides quand on vient desservir. Deux cafés pour terminer, pourquoi pas? À la dernière minute, mon invitée succombe aux douceurs "authentiques" d’une tarte au sirop d’érable. Inévitablement, notre conversation bifurque sur le temps des sucres qui s’en vient… et je me permets une toute petite bouchée de tarte pour me mettre au diapason.
Café-bistro "O" Patriotes
239, rue Saint-Vallier Ouest
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 524-1221
Table d’hôte: 16,95 à 19,95 $
Menu du jour: 6,95 à 8,25 $
Dîner pour deux (incluant boissons et taxes): 43 $