Restos / Bars

Le Petit Treehouse : Tri-sur-Main

Le charme d’un restaurant tient beaucoup au dépaysement qu’il offre à ses clients. À peine assis, on a l’impression d’être ailleurs. Le talent d’un restaurateur consiste à nous convaincre que cet ailleurs est vraiment meilleur. Et dans le périlleux équilibre entre fond et forme, la présence d’un vrai chef constitue un atout certain. Le Petit Treehouse possède tous les ingrédients susceptibles de nous mener vers le bonheur le temps d’un repas. Éphémère peut-être, mais combien revigorant.

La "Main" entre Sherbrooke et des Pins est une sorte d’aquarium dans lequel vit cette faune qui, de tout temps et sous toutes les latitudes, veut afficher sa différence. Comme partout, il y a du bon et du carrément imbuvable. Il y a aussi de la poésie, comme ce soir-là, ce couple de jeunes gens, lui, look Johnny Depp, elle, nombril à l’air par un froid sibérien, plongés dans un vertigineux et passionné baiser qui ensoleillait le trottoir. Question restos, l’arrivée du Petit Treehouse représente une galipette divertissante dans le secteur. Une grande partie du plaisir est due à Tri Du, le truculent itamae de l’endroit. (Itamae, ça ne veut rien dire pour le commun des mortels, mais comme je vous sais vachement instruits, je ne doute pas que vous sachiez également que ça veut dire "maître cuisinier de sushis" en japonais. Et puis, ça me permet de frimer un peu, ce qui respecte l’ambiance de ce coin de notre belle ville.)

Hormis quelques connaisseurs japonisants de choc, les amateurs de sushis, sashimis, makis et autres cornets ont parfois de la difficulté à distinguer le très bon de l’exceptionnel. En termes agricoles, du poisson cru, c’est du poisson cru; et du riz, collant ou pas, reste du riz. Sans me vanter d’être un expert en la matière, je peux vous assurer qu’une visite au Petit Treehouse s’inscrira dans votre carnet de bons souvenirs.

M. Tri Du est un personnage fabuleux. Vietnamien à l’accent de Dolbeau, il orchestrait jusqu’à tout récemment les soirées gastronomiques du restaurant Treehouse de Westmount. On ne remerciera jamais assez les Montréalais de cet arrondissement de nous avoir envoyé M. Tri. Toujours affublé de splendides boucles d’oreilles style pirate, moulé dans un t-shirt à la mode et coiffé d’une élégante tuque Versace, il est à la restauration japonaise ce que Mozart est à la musique classique. En beaucoup plus désopilant.

Son sashimi de thon rouge, relevé de copeaux de pommes vertes, vivifié de quelques gouttes de sauce citronnée et déposé voluptueusement sur une aérodynamique languette de pomme de terre douce vous enverra, dès le hors-d’œuvre, dans les hauteurs pré-orgasmiques. Si ce n’est pas suffisant, cette simple salade composée d’un très fin mesclun, simplement vêtue d’une ravissante jupette de vinaigrette et de quelques éclats de fruits exotiques, vous hissera au-dessus des nuages et des jets partis vers Célèbes.

Et là commencera pour vous l’épuisant et ô combien savoureux voyage dans le manège intergalactique du chef. Fantastique duo de fines tranches de turbot et de thon rouge, formant d’hallucinantes corolles qui écloront plus tard contre votre palais. Filet de morue noire d’Alaska, à peine voilé de miso et grillé avec tant de délicatesse qu’à peine la fourchette poussée dans la pièce de poisson, on est frappé de plein fouet par un iceberg fantôme. Huîtres Tri-afeller (sic), spasmes marins dans lesquels le gratin et la pincée d’épinard jouent le rôle de bouée de sauvetage pour gastronomes au bord de l’évanouissement. Petit beignet de tofu sucré enrobant une bouchée de bœuf wagyu, connu chez nous sous le nom de bœuf de Kobé. La viande est d’une remarquable tendreté et son goût est ici transcendé par l’écrin de fine pâte saisie.

Les desserts sont moins exceptionnels. À la limite, on peut s’en passer. Sans vouloir dire du mal de cette trilogie de crèmes brûlées (vanille de Madagascar, chocolat noir et thé vert), ni de cette chose quasi illégale baptisée soufflé passionnément chocolat. C’est surtout que l’on est un peu épuisé d’avoir ainsi toute la soirée sauté de cumulus en nimbus et que l’on aimerait conserver un brin de lucidité, ne serait-ce que pour commander un taxi.

Le service fut assuré avec distinction, efficacité et classe par un authentique Nippon de cœur du nom de Spiro Letendre. Un modèle pour notre belle jeunesse.

Vous ai-je dit combien l’endroit est élégamment décoré? Je suis resté bouche bée un bon quart d’heure devant l’immense plaque d’onyx qui distille une lumière d’une douceur céleste dans le lounge du rez-de-chaussée. La lévitation qui m’amena au restaurant situé à l’étage s’y confirma. "Esthétique épurée des lieux", s’exclamait mon rondouillet ami Michel en s’empiffrant. "Oooooui ! Oooooui ! Oooooui !" confirmait Gina, son épouse, plus exaltée et plus sensible. Mes amis sont très épicuriens et se laissent facilement emporter. Ce sont mes amis aussi pour ça.

Tant d’extases en une seule soirée prouvent plusieurs choses. La plus importante est que nous disposons d’une nouvelle excellente adresse. La moindre est que je n’ai plus le même allant qu’autrefois. Mon lendemain dut en effet être consacré à maints exercices de méditation pour me calmer et me ramener sur le plancher des vaches. Une soupe de légumes relevée d’une louchette de graisse de canard compléta la manœuvre avec succès. Bon décollage à tous.

Le Petit Treehouse

3527, boulevard Saint-Laurent

(514) 845-7557

Cuisine ouverte du mardi au samedi de 17 h à minuit. Sas de décompression dans le lounge jusqu’à 3 h. Belle sélection de sakés, chauds ou froids. En étant prudent, on peut s’en tirer avec une addition raisonnable. Par contre, si vous vous sentez d’attaque, la maison vous offre des possibilités quasi infinies de pulvériser votre budget. "Rien n’est jamais sans conséquence. En conséquence, rien n’est jamais gratuit." Confucius, homme d’État et philosophe chinois, 551-479 av. J.-C.